Etude chorégraphique, Strange Fruit d’Emmanuel Eggermont s’inspire d’images d’archives, notamment des photos du lynchage de Thomas Shipp et d’Abram Smith dont Abel Meeropol, auteur de chansons, fit un poème précisément intitulé Strange Fruit, qu’il mit en musique pour la chanteuse de jazz Billie Holiday. De ce texte, devenu dénonciation chantée du racisme à l’égard de la communauté noire américaine, Emmanuel Eggermont fait un objet de réflexion plus générale sur la violence.
Strange Fruit : les formes de la violence
Solo chorégraphié et dansé par Emmanuel Eggermont, Strange Fruit se présente comme une étude sur la violence, ses formes et sa permanence dans nos sociétés : Comment montrer celle-ci en prenant le parti de ne pas reproduire sur scène cette même violence ? Comment en révéler l’aversion qu’elle suscite par le geste et le mouvement ?
Strange Fruit trouve son origine dans une série d’images d’archives, photos rappelant la banalité quotidienne de la violence raciale aux Etats-Unis dans les années trente. Abel Meeropol témoigne alors de cette dernière en écrivant Strange Fruit : «Les arbres du Sud portent un étrange fruit / Du sang sur les feuilles et du sang aux racines / Des corps noirs se balancent dans la brise du Sud / Fruit étrange suspendu aux peupliers» Ainsi commence cette complainte macabre, froide description de l’horreur de la mort haineuse. Cette abomination est en quelque sorte prolongée par la découverte récente et la lecture d’autres archives, celles du conflit opposant au début du vingtième siècle l’Italie à l’ancien Empire Ottoman, mettant en œuvre de nouveaux moyens de destruction. Voilà donc un autre contexte, une autre forme de violence. Emmanuel Eggermont décide dès lors de s’approprier ces matériaux et d’en faire l’objet d’une chorégraphie, qui ne sera autre qu’une réflexion personnelle sur la violence.
Strange Fruit
Il importe avant tout de dire cette violence, ou plutôt la suggérer, sans autre moyen que le geste et le mouvement. Loin de vouloir montrer ou illustrer sur des scènes d’exécution et des images de guerre, Emmanuel Eggermont s’attache donc davantage à leur perception et aux sentiments qu’elles suscitent.
Sur scène, une volonté de sobriété semble dominer pour montrer notre rapport à la violence. Sobriété de la tenue d’Emmanuel Eggermont, vêtu d’une chemise et d’un pantalon d’une même couleur sombre et d’une paire de chaussures de ville. Cette même sobriété est aussi celle du dispositif scénique puisqu’il se déplace sur un plateau recouvert de panneaux blancs en polystyrène qui se révéleront être son propre tombeau. Chaussant des crampons d’alpiniste, Emmanuel Eggermont transperce ce sol fragile qui se brise sous ses pas.