Au cours de ses recherches, l’historien Pierre Schill trouve une petite boîte perdue dans les «papiers» d’un député de la Troisième République. Il découvre à l’intérieur une vingtaine de photographies: des soldats sous les palmiers, dans le désert, mais aussi l’exécution en place publique de quatorze indigènes. Pierre Schill propose alors au chorégraphe Emmanuel Eggermont de créer, à partir de ces archives, une œuvre pluridisciplinaire mêlant danse, littérature et création plastique.
Les archives retrouvées par Pierre Schill contiennent des écrits et des photographies réalisées en 1911 près de Tripoli, sur le territoire de l’actuelle Libye. Cet ensemble reconstitué résulte de la commande d’un reportage sur la guerre de colonisation qui opposa le Royaume d’Italie et l’Empire ottoman, passée par le quotidien Le Matin à l’homme de lettres français Gaston Chérau.
Lorsqu’Emmanuel Eggermont regarde les clichés, il ne pourra s’empêcher de faire le lien avec Abel Meeropol, un professeur new-yorkais qui, en 1937, après avoir vu des images du lynchage de deux afro-américains, écrit son horreur dans un poème: Strange fruit. L’intitulé du poème d’Abel Meeropol, mis en chanson deux ans plus tard par Billie Holiday, devient alors le titre du spectacle d’Emmanuel Eggermont.
Avec Strange Fruit, le chorégraphe tente de proposer une lecture artistique du corpus photographique retrouvé par Pierre Schill. Il cherche à exprimer par la danse ce que les mots ne suffisent pas à dire. Par le biais d’une poésie du mouvement, Emmanuel Eggermont dit tout l’aspect tragique des rapports entre les hommes. Le massacre des quatorze indigènes en 1911, le lynchage des afro-américains Thomas Shipp et Abram Smith en 1930, il y a ici une chronologie de la violence qui mènera le public à penser aux conflits d’aujourd’hui et aux traumatismes qu’ils entraîneront demain.