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Storylines

PSophie Collombat
@12 Jan 2008

Dans le cadre d’un dialogue artistique franco-allemand, Storylines traite du récit à travers une série de dessins : scènes quotidiennes, amorces de fiction, supports à réflexion, la construction se décline sous différentes formes graphiques.

Public a invité Ulrike Kremeier, fondatrice d’un lieu alternatif //plattform// à Berlin, à répondre à une exposition organisée par Aurélie Voltz au début de l’été dernier à Berlin intitulée «Mémoires vives Ω Schwindel. Gefühle». La thématique tournait autour de la mémoire et de la narration et montrait des travaux photographiques. «Storylines» aborde également la notion de récit, mais à travers une série de dessins et dans un environnement essentiellement architectural. Scènes quotidiennes, amorces de fiction, supports à réflexion, la construction se décline sous différentes formes graphiques.

La première pièce, Mia de Zilla Leutenegger, projette en boucle un dessin représentant une jeune femme assise, immobile, devant un poste de télévision, une cigarette à la main. Un seul élément mobile anime l’image fixe: la fumée s’élève en une nuée ascendante et les yeux se meuvent.
Le dépouillement et la simplicité des formes noires sur le fond blanc immaculé, caractérisent l’ensemble de la production.

La vidéo Häuser (Ursula Döbereiner) diffusée sur un écran d’ordinateur révèle une succession de plans d’architecture intérieure et extérieure aux lignes épurées. La présentation panoramique à 360° évoque la visite virtuelle d’un appartement témoin ou idéal. Certains éléments, hétéroclites et sans rapport entre eux, introduisent une dimension absurde: l’extrême finesse des traits ne permet pas au premier abord de distinguer la nature exacte des images mais laisse apercevoir une piste de bowling, des câbles électriques, des escaliers sans fin. Le mélange produit une sensation d’inconfort, de tension visuelle.

L’installation toute proche d’Erik Göngrich, montre également des dessins d’architecture, projetés cette fois en négatif et accompagnés de questions prosaïques. «De quelle couleur aimeriez-vous peindre votre ville?», «Aimeriez-vous habiter le dernier étage d’un gratte-ciel?», «Quel est votre film de science-fiction préféré?». Le thème est ainsi posé et la science de l’architecture se révèle comme un support à une fiction.

Ce rapport entre urbanisme et invention retient également Michaela Schweiger qui, sous la forme d’une vignette de comics américain, reconstitue la scène de présentation de la «ville du futur» par Walt Disney à Johnny Colonna et Eddy Nelson.
Référence immédiate à la Epcot (Experimental Prototype Community of Tomorrow) imaginée par Disney dans les années 60. La ville idéale, surnommée «Waltopia», est ici tournée en dérision pour montrer comment une utopie urbanistique peut devenir un modèle idéal de cité carcérale.

Les dérives totalitaires de ce type d’urbanisme ultra moderne, rapidement rattrapé par l’obsession de contrôle et de sécurité, se retrouvent dans The Golden Castle de Sofie Thorsen.
La juxtaposition de représentations de lieux désertés et de dialogues entre l’artiste et des gardiens de musées révèlent la rigueur des règles de comportement qui contraignent les individus et abolissent la finalité des lieux.

En contre poids, viennent les clichés redessinés par Erik Göngrich sur les mouvements de contestation des années 70. Focalisés sur les participants, le cadrage supprime toute référence contextuelle et universalise la prise de conscience politique caractéristique de l’époque.

En face, le mur des Plattenbauten de Barbara Trautmann propose une vision radicalement différente de l’architecture modulaire. La nature reprend en effet possession de son territoire. Le choix d’un point de vue éloigné met en évidence les élégantes volutes des branchages et la forme sculpturale des troncs au détriment des barres d’immeubles, camouflées à l’arrière-plan.
Le romantisme qui émane de ces planches fait écho à l’aquarelle de Kristina Solomukha. L’aménagement du territoire se veut poétique et écologique: d’inspiration florale, L’Echangeur se fond dans la nature et évoque davantage un projet de land art qu’un simple aménagement autoroutier.

L’exposition révèle différentes formes de narration possibles à partir de l’architecture. Conçue pour abriter et résider, elle fait office de réceptacle pour la fiction et de support à la narration. Les grandes lignes qui la caractérisent servent le récit humaniste, utopiste, romantique, politique, quotidien des hommes qui la créent et qui l’habitent.
L’œuvre qui caractérise le mieux cette idée est sans nul doute la longue frise de Maya Schweizer. Une femme voilée pense en marchant le long d’une route bordée d’un océan d’immeubles. Sa pensée défile en bas de l’image, sous la forme d’un sous-titrage. La forme elle-même du dessin, juxtaposant différents instants les uns à la suite des autres, rappelle la forme d’un story-board de cinéma et celle des frises médiévales qui présentaient dans le même plan la même scène à des moments différents.
Jasmine raconte les inquiétudes d’une mère vis-à-vis de sa fille, devenue chanteuse. Le décalage entre l’architecture contemporaine en arrière-plan et la marche de cette femme entièrement voilée, souligne le paradoxe des grandes métropoles, où cohabitent tradition et modernité.

Enfin, la qualité du choix des œuvres et des artistes et de leur mise en exposition par affinités tant formelles que thématiques mérite d’être soulignée.
Des lieux comme Public et //plattform// permettant à de jeunes curateurs et artistes de s’exprimer sont d’excellents exemples d’alternatives à l’immobilisme ambiant…

Ursula Döbereiner
— Häuser (maisons), 2002. Vidéo.

Erik Göngrich
— Fragen (questions), 1997-2002. Projection diapo.
— Zeichnungen (dessins), 2001-2005. Projection diapo.

Zilla Leutenegger
— Mia, 2004. Projection vidéo en boucle d’un dessin, noir&blanc, son.

Elke Marhöfer
— Das ist das Idee – Quolibet, 2005. Dessins.
— Manifestation de solidarité de la Roten Hilfe pour la Rote Armee Fraktion 1972, 2003. Dessins.
— Sit-In à Francfort, 2003. Dessins.

Michaela Schweiger
— Walt Disney montre à Johnny Colonna et Eddy Nelson la ville du futur, 2002-2003. Dessin.

Maya Schweizer
— Jasmine, 2005. Dessin.

Kristina Solomoukha
— Echangeur, 2005. Dessin à l’aquarelle.

Sofie Thorsen
— The Golden Castle, 2004. Dessin.

Barbara Trautmann
— Plattenbauten (maisons modulaires), 2002-2004. Dessin.

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