Communiqué de presse
Anne Marie Jugnet, Alain Clairet
Still Life, Los Alamos
Nos nouvelles peintures sont des natures mortes d’après des objets acquis au «Black Hole» des laboratoires de Los Alamos. Nous avons scanné ces objets transparents au moyen d’un scan en deux dimensions. Ces objets ayant un volume, nous avons surélevé le plan supérieur du scan avec des cales, ce qui a fait apparaître des bords noirs dans l’image récupérée sur l’écran de l’ordinateur. Ces bords noirs déterminent l’espace entre les plans supérieur et inférieur du scan. Ici, on a remplacé la table sur laquelle on pose des objets par le scan à l’intérieur duquel on introduit des objets. Un nouvel espace planimétrique se dessine. La profondeur de cet espace restreint est approximativement de l’ordre de l’épaisseur de l’objet.
Sur la table, les objets éclairés par la lumière produisent des ombres, ce qui les inscrit dans l’espace. Sous le scan, la lumière balaye le plan avec l’objet; les traces sur le plan du scan sont celles que produit la forme particulière de l’objet par le passage de la lumière. Les informations du fond sont dépendantes de la nature de l’objet. Il s’agit là de réflexions.
C’est le déplacement: «sur la table», «sous le scan» qui nous semble pertinent. Cet autre espace n’est pas observable à l’oeil nu, mais révélé par un processus d’analyse. Nous avons décidé de tout peindre: l’espace du scan, l’objet, et les traces de l’objet résultant du passage de la lumière.
Nous peignons flou, au pistolet, avec des caches placés à distance de la toile. Le contour diffus des objets les place dans une relation subtile avec l’espace peu profond du scan et la lumière qui les traverse.
Nous avons exécuté à ce jour une série de neuf toiles «vert phosphorescent» et nous entamons à présent une série «bleu phosphorescent». Le pigment phosphorescent est mélangé dans des proportions variables à du noir et du blanc de manière à réaliser censément un camaïeu. Les peintures sont donc visibles de jour, et de nuit. Elles s’éteignent progressivement en l’absence de lumière.
Ce qui nous intéresse dans le pigment phosphorescent, c’est la mémoire de la lumière (comme autrefois dans nos peintures d’écran la mémoire de l’image) et l’augmentation du temps de lecture ou de regard d’une peinture, jusqu’à son extinction. Lors d’expositions, les toiles phosphorescentes sont montrées de jour, leur rémanence n’étant pas d’emblée donnée à voir. Il existe une relation étroite entre les objets de Los Alamos (objets fortement connotés, stimulant l’imaginaire, évoquant la bombe atomique et les radiations), le scan et le pigment phosphorescent de la peinture.
Avec le scan, c’est un balayage de lumière qui passe à travers l’objet. Avec la peinture, c’est toujours de la lumière réfléchie qui, grâce au pigment phosphorescent, devient une émission. C’est une lumière d’abord absorbée et accumulée, puis réfléchie, émise, une sorte de radiation également. On peut se poser la question: pourquoi la finalité de la peinture plutôt que celle de la photographie? Le déplacement du medium nous semble toujours plus pertinent. La peinture comme stade ultime de notre processus de travail provoque l’écart nécessaire et significatif pour voir, pour mieux voir. La peinture vient représenter ce que la photographie ne ferait qu’apparemment utiliser (la photographie et le scan sont des outils de la chaîne graphique). La peinture ne meurt jamais, elle ne fait que parfois s’évanouir.
Nos peintures parlent d’images, de mémoire, de lumière et d’écran (des Screen Paintings jusqu’aux Still Life), utilisant toujours un programme d’analyse, de
déconstruction puis de reconstruction de — un travail processuel créant les conditions d’émergence d’un nouvel espace de représentation. Dans les aquarelles, nous n’avons représenté que l’espace du scan. Nous avons utilisé les mêmes documents de travail que pour les neuf peintures en ôtant, en effaçant, à chaque fois les informations concernant l’objet et les réflexions sur le plan du scan. La disparition de l’objet nous est apparue importante sur le plan théorique. La profondeur de l’espace du scan qui était dépendante de l’épaisseur de l’objet reste la seule information significative de la présence, puis absence de cet objet.
Dans l’espace traditionnel de la nature morte, celui de Chardin ou de Cézanne, c’est le plan de la table qui détermine l’espace dans lequel s’inscrivent les objets. Ici, c’est l’objet qui détermine l’espace de son inscription, celui très peu profond du scan. Les formats sont homothétiques de ceux des peintures puisqu’ils sont issus des mêmes documents de travail. La réalisation d’une aquarelle s’effectue avec un seul adhésif, dont la découpe dessine un schéma. L’adhésif en son centre retient un important ménisque et à sa périphérie des filets d’eau dans lesquels les pigments sont déposés. Le temps de séchage ou d’exposition à la lumière nécessite une journée entière pendant laquelle le processus de réalisation nous échappe. Ensuite l’adhésif est retiré. Anne Marie Jugnet, Alain Clairet (décembre 2009).
Vernissage
Jeudi 25 mars 2010. 16h-20h.
critique
Still Life, Los Alamos