L’exposition «La Marque noire» ouvre ses portes au Palais de Tokyo pour nous offrir une rétrospective des oeuvres de Steven Parrino. Conçue comme un triptyque, elle rassemble dans une première salle, ses productions effectuées pendant plus de vingt ans. Puis on découvre celles d’artistes qui l’ont inspiré durant toute sa vie et des jeunes talents qu’il a soutenus et avec qui il a collaboré.
Nourri par un environnement urbain qui évolue sans cesse, par la musique punk, rock et les tribulations d’une société américaine dont il exploitera les travers, Steven Parrino n’a eu de cesse de matérialiser le chaos de la vie. Il s’agissait pour lui de prendre «la mesure de la réalité confuse et brutale de l’existence» et de traduire plastiquement cette violence. En laissant ainsi des empreintes formelles, ses toiles sont devenues les réceptacles de toutes ces dissonances.
Dans un de ses écrits de 1990, Steven Parrino répertorie des actions qu’il a coutume d’exercer dans son atelier: arracher, froisser, distendre, disloquer, tordre, cabosser, dégrafer, déchirer, lacérer…
En entrant dans la première salle ces mots résonnent et prennent tout leur sens. Crowbar, grande toile noire rectangulaire lacérée sur toute sa longueur, laisse apparaître son châssis par un trou béant opéré au pied de biche.
L’outil nécessaire à cette opération est posé là , près de la carcasse éventrée, comme un témoin complice de cette exaction. Le lambeau de tissu déchiré gît sur le sol et le revers terne de ce monochrome contraste avec la brillance du morceau qui reste intact sur le cadre.
Tout près, sur le mur de droite, Hell’s Ghate Shifter, ensemble de cinq toiles, s’affiche comme une démonstration de la technique de l’artiste. Son principe consiste à peindre un monochrome sur une toile tendue, puis à la décrocher et à la fixer à nouveau, décadrée et froissée sur son châssis d’origine.
Ici le carré rouge qui épouse au départ le format, se rétracte petit à petit au coeur de l’oeuvre pour prendre une toute autre dimension. Hormis le relief que prend cette nouvelle composition, l’espace de la pièce se trouve aussi altéré par cette proposition. Un des cinq panneaux est suspendu au dessus des autres et se désolidarise du mur. Il se penche vers nous et nous impose un autre point de vue. La planéité est mise à mal, on entre dans la peinture, elle s’avance vers nous.
La matérialité des pliures joue avec la lumière, tout comme dans les trois tondos, Cyclotron, Caustic Pill et Skeletal Implosion. Ce qui semblait jusqu’ici fixe et pétrifié côtoie l’insaisissable. Des vibrations fugitives naissent dans les creux et les bosses que l’on découvre au fil de nos déplacements. Les rayures noires ou argentées se froissent. Le contour circulaire qui arbore des tâches et des giclûres dialogue avec ces tracés géométriques et rectilignes devenus obsolètes.
On ne peut s’empêcher de voir au travers de toutes ces oeuvres des références à l’histoire de la peinture moderne et post moderne. Malevitch et son Carré rouge de 1915, Pollock, Burren ou encore Mosset, sont-ils des inconnus pour Steven Parrino? Et qu’en est-il du caisson en panneaux de plâtre qui trône dans la pièce? Trashed Black Box II, parallélépipède violemment troué de part et d’autre, n’est-il pas le vestige délabré d’une effigie minimaliste?
La radicalité des propos d’artistes que l’on retrouve dans la pièce voisine est pour lui une source d’inspiration. Before (plus ou moins) regroupe des pièces clés dans la formation de l’univers esthétique de Steven Parrino.
Le noir et l’argent scintillent dans la majorité de ses toiles comme un hommage aux emblématiques Harley Davidson. Ils sont aussi des échos aux séries Progression de Donald Judd, réalisée avec la même peinture laquée que ces célèbres motos et aux Electric Chair d’Andy Warhol.
Ici, le mur d’aluminium qui supporte les sérigraphies, exacerbe la froideur du discours. Les déclinaisons colorées se succèdent jusqu’à en devenir banales. Et pourtant la violence est sous-jacente. Steven Parrino l’affiche, lui, et la tourne presque en dérision en la poussant à l’extrême dans les dessins d’Exit/Dark Matter.
Les planches de bandes dessinées, noires et blanches sur calque, présentent des scènes de guerre, de sexe et de massacres. Une reproduction détournée du Saturne de Goya surmonte un amas de crâne et nous rappelle de manière satirique et ironique notre société autodestructrice.
Steven Parrino partait du principe que l’artiste est un miroir du monde, et déclarait simplement «I’m not glorifying the violence in what i do, I am reflecting it».
Sa peinture est bien plus qu’un reflet ou qu’un simple constat, elle est la résultante d’une réalité brutale et excessive. Elle prend la mesure d’une existence effrénée et intensive, d’un destin foudroyant, celui d’un artiste disparu trop tôt sur une route de Brooklyn le 1er janvier 2005
Steven Parrino
— 13 Shatterd Panels for Joey Ramone, 2001. Collection Famille Parrino.
— Dancing on Graves, 1999. Collection Famille Parrino.
— Cyclotron, 2002. Collection Famille Parrino.
— Skeletal Implosion, 2001. Collection Famille Parrino.
— Caustic Pill, 2001. Collection Pangea, Genève.
— Blob (Fuck head bubblegum), 1996. Collection Le Consortium, Dijon.
— The Self Mutilation Bootleg 2 (The Open Grave), 1988-2003. Collection Famille Parrino.
— 3 Units Aluminium Death Shifter, sans date. Collection Famille Parrino.
— Trashed Black Box II, 2003. Collection Fonds national d’art, contemporain, Ministère de la culture et de la communication, Paris, 04-210.
— Caustic Pill, 2001. Collection Pangea, Genève.
— Stockade: Existential Trap for Speed Freaks, 1988-1991. Collection Famille Parrino.
— Exit Dark Matter, Dessins. 1998-1999. Collection Pangea, Genève.