Faut-il encore présenter Franz Erhard Walther? Ses sculptures (il préfère parler, dès les années 60, d’«objets», pour bien spécifier le caractère instrumental des œuvres) paraissent aujourd’hui appartenir à un champ bien défini de l’art contemporain: celui de l’«esthétique relationnelle», thématisée par Nicolas Bourriaud dans les années 90.
Seulement voilà : c’est dans les années 60 que Franz Erhard Walther invente cette sorte de «sculpture vivante», un travail devant lequel le spectateur est sommé d’agir et conduit à prendre conscience que la sculpture est devenue une affaire de temporalité. Aussi ce travail représente-t-il une rupture esthétique majeure.
Parallèlement, Franz Erhard Walther n’a jamais cessé de dessiner — ou d’écrire; mais l’écriture a toujours été pour lui qu’une autre forme du dessin. Dès 1957, alors qu’il est encore étudiant à l’école d’arts appliqués d’Offenbach, en Allemagne, il réalise les Wortbilder (Mots-images). Si ce travail dessiné quasi-quotidien a peut-être été moins montré, il n’en est pas moins essentiel en ce qu’il accompagne toute l’œuvre Franz Erhard Walther (dessins préparatoires, dessins opératoires…).
Les œuvres présentées à la galerie Jocelyn Wolff, sont dessinées et écrites entre 2007 et 2009 par Franz Erhard Walther en de vue réaliser un véritable roman, Sternenstaub, qui comprend plus de cinq cents feuillets, au fil desquels l’artiste se raconte. Le dessin se mêle au texte. De nature autobiographique, l’ouvrage retrace en effet une trajectoire artistique, de 1942 à 1973, en s’arrêtant sur des évènements précis ou en relatant des souvenirs parfois plus intimes.
C’est évidemment une sélection qui est proposée à la galerie, une sélection qui joue sur les formats puisque certaines pages sont agrandies ou au contraire miniaturisées. Ainsi, on traverse la seconde moitié du siècle à grands pas, on croise par exemple l’année 1968, où Franz Erhard Walther relate la mort de Marcel Duchamp. Parfois, nous assistons à une véritable mise en abîme: l’artiste se dessine en train de dessiner, mais aussi en train d’«utiliser» ses œuvres.
Ce roman, publié en 2009 sous forme de facsimilé (consultable à la galerie) et actuellement présenté dans son intégralité au Museum Haus Lange de Krefeld, est une nouvelle preuve de la richesse du travail de Franz Erhard Walther.
Sternenstaub est en quelque sorte une véritable historiographie, qui nous rappelle les contradictions internes au travail de l’artiste, contradictions maîtrisées, mises à profit.
Prendre le temps de regarder ces planches incite à ne pas réduire trop vite Franz Erhard Walther à la «sculpture vivante» car son travail est bien plus que cela. Les réflexions sur la peinture, par exemple, ne sont jamais loin.
Dans un entretien réalisé en 2009, Erik Verhagen faisait remarquer à l’artiste que son œuvre avait toujours reposé sur «la mise en équilibre des données temporelles et spatiales». On pourrait alors penser que ce roman peine à s’inscrire dans ces grandes caractéristiques. Et pourtant. Le spectateur n’a certes pas ici une action directe et réelle, il n’interagit pas avec l’œuvre. Mais par ces jeux de formats, les données spatiales sont omniprésentes. Quant à la dimension temporelle, comme le fait remarquer Erik Verhagen, c’est bien à travers ce «travail de mémoire» qu’elle s’exprime.
En somme, Sternenstaub déroute et s’impose avec évidence à la fois.
Å’uvres
— Franz Erhard Walther, Demonstration of 1.Wereksatz Kunsthalle D¸sseldorf, 1969. From Sternenstaub 30.
— Franz Erhard Walther, Activation of «Elfmeterbahn» of 1964 in my studio. Jennifer and Ira Licht are watching, D¸sseldorf, Talstrasse 69, 1966. From Sternenstaub 18.
Entretien
L’entretien entre Franz Erhard Walther et Erik Verhagen, intitulé «Des Mots-images à la Poussière d’étoiles a été publié dans les Cahiers du Musée national d’art moderne (n° 107, printemps 2009, p. 91-107).