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Stéphane Thidet

Joueur invétéré, Stéphane Thidet entre de nouveau dans la peau d’un commissaire d’exposition et propose à une dizaine d’artistes de vivre une expérience de création symbiotique. Présentée à la Fondation Ricard, Et pour quelques dollars de plus s’adonne au jeu de l’art et du hasard sur fond de western spaghetti… 

Céline Piettre. Cette exposition collective présentée à la Fondation Ricard est le troisième volet d’une trilogie, commencée en 2007 avec « Guet-apens »…
Stéphane Thidet. C’est exact. Je l’ai appelée : « La Trilogie Corberon », du nom du village où j’ai réuni pour la première les artistes invités à participer au projet de « Guet-apens ». Nous avons passé deux jours entiers dans une maison, afin de définir notre scénario de travail. J’y ai apporté une valise qui contenait le plan de l’exposition à venir, point de départ matériel de notre collaboration. Cette pièce matricielle a été ensuite présentée à la Générale, à côté des oeuvres à proprement dites.

C’était ta première expérience en tant que commissaire ?
Stéphane Thidet. Je ne sais pas si mon travail peut être considéré comme un véritable commissariat d’exposition, en tout cas si l’on se réfère à l’acception traditionnelle du terme. Je suis avant tout un artiste. J’ai donc contourné cette exigence — qui est, à l’origine, une proposition de la Générale — par le jeu.

Peux-tu nous préciser ta démarche ?
Stéphane Thidet. L’idée de départ était de travailler en équipe à partir d’une trame narrative fictionnelle, de monter une exposition comme on prépare une embuscade. Le second volet consistait à montrer les armes et l’épilogue clôture aujourd’hui l’ensemble sur le thème de la confrontation finale. Il me semblait important d’écrire une fin à cette trilogie, comme dans un vrai scénario, afin de connaître l’issue de l’arnaque. En d’autres termes : qui part avec le magot ?

C’est la raison pour laquelle tes titres se réfèrent explicitement au polar, à la série noire, aux films de méchants ?
Stéphane Thidet. Tous les titres sont des « ready made ». Guet-apens est un film de gangsters des années 1970, La Position du tireur couché, un roman policier de Patrick Manchette et Pour quelques dollars de plus…, l’un des westerns culte de Sergio Leone… Cela renforce tout simplement l’idée de jeu, de trame scénaristique. Á noter que le second volet, La Position du tireur couché, est une initiative de Julien Prévieux, qui s’empare du rôle de commissaire et donne une suite au projet de départ, modifiant sa forme initiale.

Tu as du faire le choix d’une équipe. Selon quels critères ?

Stéphane Thidet. Les artistes sélectionnés ont tous abordé dans leur travail, à un moment donné et en empruntant différentes voies, la notion de piège, de danger. Je connaissais certains personnellement, d’autres pas du tout. J’étais surtout à la recherche de personnalités capables de se prêter au jeu et de travailler ensemble. En réalité, cette trilogie est avant tout l’histoire d’une équipe, qui se suit sur plusieurs épisodes.
L’une de mes ambitions étaient aussi de trouver une alternative au collectif d’artistes, qui a ses limites, de réussir à mettre en place une collaboration en respectant les identités et les armes artistiques de chacun.
 
A la différence de « Guet-apens », les oeuvres exposées à la Fondation Ricard ne peuvent être attribuées à un seul artiste mais sont le fruit du travail de plusieurs…
Stéphane Thidet. Ce dernier volet, « Et pour quelques dollars de plus », représente l’affrontement final. Mais contre qui ? Dans quel but ? J’ai alors décidé que nous allions mettre en jeu notre propre identité artistique en soumettant une règle : toute idée, œuvre, système, projet proposé par quelqu’un pourrait être volé, détourné, « parasité » par un autre participant ou lui servir de « bouture » à la manière d’une greffe. En suivant ce principe, chaque proposition devient élément d’un ensemble et n’a pu exister qu’en réaction à une autre : comme du lichen — résultant de la symbiose entre une algue et un champignon — et des systèmes parasitaires — où certains corps ne peuvent exister sans la présence d’autres. L’exposition questionne donc, en filigrane, l’autonomie individuelle de l’artiste. Un processus auquel même le commissaire (que je suis) se devait de participer, en acceptant lui aussi de se remettre en cause.

Comment le processus se déclenche t-il, concrètement ?

Stéphane Thidet. Prenons un exemple précis. Un jour, au cours d’une discussion, j’ai proposé à l’équipe un « horizon brûlant », transformé très vite en « horizon brûlé » par Joséphine Wister Faure, qui a allumé une mèche de dynamite à même le mur de l’espace Ricard. Cette dernière a été ensuite arrêtée dans sa course par la hache de Julien Berthier… Ainsi, les choses naissent par rebonds mais ne se limitent pas à la construction linéaire du cadavre exquis. L’exposition se développe de manière exponentielle. Et même si une œuvre peut être attribuée à certains artistes en particulier, comme c’est le cas pour la palissade aux lions, réalisée par le trio Ardouvin / Bedez / Prévieux, sa conception est le fruit d’une émulation commune, dont le cheminement est difficile à reconstituer précisément.

Dans la première salle, les artistes utilisent un vocabulaire de l’affrontement. On devine des armes d’attaque et de défense, des destructions en puissance : table-bouclier, femme canon prisonnière d’un lance papate géant, palissade en ruine…
Stéphane Thidet. En réalité, l’exposition s’est montée en deux temps, définissant par la même deux espaces muséographiques singuliers : un pour la bataille et un autre pour le couvre-feu. Le visiteur est directement introduit dans le propos par la table-bouclier de Sarah et David Cousinard, à laquelle Julien Berthier a greffé un moteur de compresseur, la métamorphosant en une véritable cuve à air comprimé. Régulièrement, le moteur se met en marche afin de rétablir la pression contenue à l’intérieur du plateau, dont l’existence n’est pas visible en dehors de sa mention sur le manomètre. Cette configuration amène la table à son point de rupture, à la limite de l’explosion, ce qui fragilise le bouclier, le rend lui-même vulnérable.
Cette table semble protéger l’espace d’exposition de la menace de la femme-canon de Joséphine Wister Faure, conçue à son effigie. Venu se joindre au projet initial, Julien Berthier lui propose un lance-patate géant en PVC comme machine de propulsion. Fabriqué à la main, utilisé ordinairement pour tuer des petits animaux, comme des mouettes par exemple, le « patator » est ici transposé à une échelle supérieure. Ainsi poussée à sa puissance maximale, cette arme artisanale relativement inoffensive se dote d’une potentialité mortelle…
Ce qui est intéressant ici, c’est de retrouver la grammaire personnelle de Joséphine Wister Faure, qui a l’habitude de se mettre en scène dans son travail et dont l’identité artistique réussit à survivre à ce jeu de parasitage.

Et la seconde salle… C’est l’arrêt des hostilités ? Une incitation se mettre à couvert ?
A l’origine de cette section, il y a la phrase de Pierre Ardouvin : « Bonne nuit les petits », qui fait office de couvre-feu et que la structure modulaire de Jean Bedez vient parasiter dans sa lisibilité. De là, émerge l’idée d’une couverture anti-feu et ainsi de suite, jusqu’à contaminer les projets de la zone de combat…

Vous avez du inventer ensemble une méthodologie de travail ? Comment communiquiez-vous ?
Stéphane Thidet. Très simplement. Nous nous réunissions le plus régulièrement possible autour d’une table, afin de discuter des projets, faire émerger de nouvelles idées. Pour nous aider dans cette recherche, nous disposions de huit carnets de croquis, un par artiste (ou collectif d’artiste dans le cas de Sarah Fauguet et David Cousinard). Cela permettait de maintenir une certaine continuité dans le travail et de le faire évoluer. Par exemple, Julien Prévieux avait glissé dans le carnet une image d’une femme en train de mordre dans un tronc d’arbre. Virginie Yassef s’est emparée de cet élément et l’a transformé en film : celui où l’on voit deux individus grignoter un morceau de bois à la manière de rongeurs avertis.
Il est arrivé aussi qu’un projet naisse d’un malentendu, comme la sculpture en boites de conserve avec rideau de magasin rotatif, proposé par Julien Berthier, qui clôture l’exposition, issue d’une incompréhension entre Virginie Yassef et moi à propos du mot « butoir ».

Finalement, avec Et pour quelques dollars de plus, tu crées un nouveau prototype d’exposition…
Stéphane Thidet. Je trouve que c’est important d’essayer d’inventer de nouvelles formes de travail, pour enrichir la pratique contemporaine. Mais le défi principal de cette initiative aura été de réussir à rassembler des artistes autour d’un véritable projet en commun, de vivre une expérience ensemble, ce qui est particulièrement rare dans un contexte artistique dominé par la compétition, les obligations promotionnelles, les exigences économiques du marché de l’art. Apprendre à travailler côte à côte et fabriquer des souvenirs, c’est sûrement ce que nous avons fait de mieux.

Et pour l’avenir, une autre trilogie ?

Stéphane Thidet. Non, ça suffit ! Je crois que je vais m’arrêter là pour l’instant et repartir sur des projets en solitaire : la FIAC bientôt, une exposition collective sur le merveilleux au CRAC Alsace en octobre prochain, l’Estuaire à Nantes en 2009…

 

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