Le plateau est déjà bien rempli quand le public s’installe. Des tableaux puissants, comme traversés de constellations, réalisés par Pascale Montandon, et des femmes vêtues de costumes designés par Issey Miyake, habitent un espace scénique éclairé d’une lumière quasi naturelle. Carolyn Carslon est là , assise, absorbée dans une contemplation sensible. Puis le poète Alejandro Jodorowsky entre en scène en implorant le pardon pour lui et pour les siens. Un pardon universel, infini, celui d’un homme face à ses souffrances et ses déchirements, celui d’un homme face à ses errances et ses enthousiasmes, celui d’un homme qui ne cesse de demander pardon pour s’incarner toujours davantage dans un chemin de paix et d’amour.
Lisant des extraits de deux de ses ouvrages, Les Pierres du chemin et Sutra de la Santa Sombra ; l’écrivain, connu pour sa pratique du tarot divinatoire, nous fait part de ses écrits dans une interprétation saisissante, toujours avec humour et éloquence. Il s’amuse sur scène et nous lui en rendons grâce. Carolyn Carslon l’accompagne, danse à ses côtés, déployant dans sa gestuelle et ses expressions, de malicieuses remontrances à l’intention du poète. De leur échange naît une délicieuse comédie, faite de tendresse et de fantaisie. «La danse et la poésie sont les deux jambes d’un même corps» nous dit encore le poète.
À leurs côtés, les corps des danseurs se révèlent en une poétique de l’être ; corps composés de plusieurs corps, dont la naissance est liée aux étoiles, liée aux ténèbres, dont la naissance est sacrée. Les mouvements sont ceux d’une chorégraphie équilibrée et fluide, dans une parfaite maîtrise du geste, exposant des images élémentaires et intelligibles.
Dans une scène, les femmes, derrière les toiles devenues paravents, lissent leurs cheveux vers le ciel, comme dans une tentative d’élévation, puis retombent vers le sol, cédant soudain à la gravité terrestre ; métaphore acérée de nos chemins de vie … Plus tard, un duo d’amoureux nous offre à observer leur amour fait de dépendance, de fuite et de brutalité. Cette cruauté est-elle une forme nécessaire de l’amour? Le poète nous prie de ne pas y croire, les prie de mettre fin à cette sauvagerie.
Il semblerait que les corps s’éprouvent, s’extasient, et finalement se délivrent face à l’incantation, face à la force du verbe. Peut-être est-ce de cela dont il s’agit? Quelle parole, quelle expression doit permettre l’affranchissement de l’être et la libération de l’âme? L’ensemble des représentations qu’offre cet événement poétique sont puissantes ; elles parlent de nos histoires de vie, de nos mémoires vivantes, des souvenirs qui nous attachent au passé. Elles nous racontent ce que nous sommes et tentent de nous relier à ce qui existe au-delà de nos identités individuelles, dans l’harmonie du vivant.
— Chorégraphie: Carolyn Carslon
— Textes: Alejandro Jodorowsky
— Peintures: Pascale Montandon
— Musique live: Aleksi Aubry-Carlson et Karsten Hochapfel
— Interprétation: Sara Orselli, et les danseurs du CCN Roubaix: Jacky Berger, Chinatsu Kosakatani, Céline Maufroid ; et les danseurs du Conservatoire de la Ville de Paris, Auore Allo, Léa Bernard, Marie Bouvier, Maëliss Bozon, Apolline Di Fazio, Alexandra Quenard, Lisa Tonder
— Costumes: Issey Miyake