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Spiegel

Qu’est-ce qui fait le style, immédiatement reconnaissable, et le succès du chorégraphe flamand Wim Vandekeybus ? Avec Spiegel (Miroir), compilation de morceaux choisis par ses danseurs dans sept spectacles s’étalant de 1987 à 2000, on peut déjà distinguer quelques traits marquants. De ce télescopage des époques, il ressort d’abord une profonde homogénéité, une cohérence esthétique qui laisse percevoir l’évolution d’une œuvre au travers de motifs constants : urgence, animalité, débordement et excès.

Ces qualificatifs, qui pourraient bien sûr constituer des poncifs, se résument dans la figure du cheval, emblème ou effigie du chorégraphe, qu’il incarne lui-même par deux fois au cours du spectacle. Attention ! Il ne s’agit pas de n’importe quel canasson… Wim Vandekeybus campe avec brio un fougueux étalon. Ce qu’il conserve du cheval, ce n’est pas le bourrin, l’animal de trait, mais la bête sanguine, qui piaffe et se cabre, aux prises avec le désir, fuyant vers la liberté.

À la fois incroyable sujet de dressage et symbole d’une virilité majestueuse, l’étalon traverse de sa puissance masculine chacun des interprètes sur scène avec pour conséquence deux effets notables. Les femmes, tout comme les hommes, sont habités par cette force virile et doivent y répondre, sans ménagement pour leur anatomie. Et, comme une reprise de dressage, le ballet ne laisse aucune place au hasard ou à l’improvisation, avec une succession de cascades qui célèbrent la maîtrise des corps. Jouant avec les attentes du public, on entend quelques soupirs, et même quelques cris de frayeurs dans la salle, quand un danseur tombe au sol, qu’une jeune femme y est lâchée sans précaution, ou que des godillots cherchent à piétiner les interprètes qui s’y reposent.
Car le sol représente à la fois une surface dangereuse et une échappatoire : on y roule très souvent, on y glisse, mais aussi on s’y dérobe, en inventant des dispositifs ludiques, comme avec ces briques de plâtre que les danseurs déplacent sous leurs pieds pour ne pas toucher le sol.

Une autre façon d’y parvenir est de se suspendre en l’air. Deux systèmes sont utilisés dans Spiegel : une chaise accrochée à l’envers par une longue chaîne reliée aux cintres, à laquelle les danseurs se hissent comme à un trapèze ; des sortes de crochets, placés sur les côtés de la scène et eux aussi suspendus aux cintres, où les danseurs déposeront finalement leurs vêtements. L’idéal serait d’être comme la petite plume blanche de Feather — extrait de What The Body Does Not Remember (1987) —, suspendue par le souffle du danseur qui s’évertue à ne pas la laisser toucher le sol.

Conséquence de cette quête de l’apesanteur, il se dégage une impression pyrotechnique, le sentiment jubilatoire d’assister à la combustion des danseurs s’évertuant à effectuer des tâches impossibles. Un autre feu les brûle, celui du désir, qui échauffe très vite la salle et baigne le public dans un érotisme bon enfant.
Ainsi Spiegel ressemble aux concerts de rock où l’on vient pour écouter des reprises, mais surtout pour sentir la sueur, la fougue, et l’ivresse que procure la rencontre brute et toujours nouvelle des corps à corps.

Mise en scène, chorégraphie et film : Wim Vandekeybus
— Musique : Arno & Ad Cominotto, David Byrne, Thierry De Mey, Pierre Mertens, Marc Ribot, Peter Vermeersch
— Assistant mouvements, directeur répétitions : Iñaki Azpillaga 
— Dramaturge et assistante de Wim Vandekeybus : Greet Van Poeck
— Stylisme : Isabelle Lhoas assistée de Frédéric Denis
— Scénographie : Wim Vandekeybus assisté d’Isabelle Lhoas et Daniel Huard
— Toile : Johan Daenen
— Lumières : Wim Vandekeybus, Francis Gahide, Ralf Nonn
— Son : Benjamin Dandoy avec Laura Arís Alvarez, Konstantina Efthimiadou, Elena Fokina, Robert M.Hayden, Germán Jauregui Allue, Jorge Jauregui Allue, Ulrike Reinbott, Manuel Ronda, Helder Seabra acteurs filmIñaki Azpillaga, François Brice, Carmelo Fernandez

Création à partir d’extraits des pièces What the Body Does Not Remember (1987), Immer das selbe gelogen (1991), Bereft of a Blissful Union (1996), 7 For a Secret Never to Be Told (1997), In Spite of Wishing and Wanting (1999), “Inasmuch as life is borrowed…” (2000)

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