Interview
Par Pierre-Évariste Douaire
paris-art.com ouvre ses colonnes à une longue série d’interviews consacrée aux artistes urbains. La succession des portraits permettra de découvrir les visages et les pratiques de ces artistes qui transforment la ville en galerie à ciel ouvert.
L’Aventure intérieure est un livre qui retrace le parcours sur vingt ans de Speedy Graphito. Keith Haring français, il a été à la jonction de la figuration libre et du graffiti américain, au cours des années 1980.
Entre le tag new yorkais et le pochoir européen, il a toujours préféré une troisième voie : la sienne. Les palissades du Louvre et des Halles, sur lesquelles il laissait son numéro de téléphone, ont été ses cartes de visite pour entrer dans les galeries d’art. Malgré ce parcours chez les marchands, le macadam colle toujours à son image. Olivier Rizzo a décidé en 2003 de laisser tomber le pseudonyme pour afficher son véritable nom et son travail de peintre qu’il a commencé en 1983.
Pourquoi le besoin de se raconter dans ce livre, pourquoi écrire à la première personne ?
Au départ on m’a proposé d’écrire le texte. C’est toujours très difficile d’écrire sur son travail. Il a fallu que je me remémore toutes les dates. Il fallait remettre dans l’ordre toutes les années, c’était tout un travail, d’autant plus que je ne regarde pas beaucoup sur le passé. En regardant toutes les photos, en me remémorant tous les événements, j’ai commencé à écrire et puis je me suis laissé emporter, j’ai écrit non-stop. Je voulais à la fois montrer mes peintures mais également les restituer à travers ma vie. Mon travail est lié à tout ce que je ressens, cela me semblait une clef importante pour que l’on puisse comprendre mon travail. Parler de moi, c’était aussi parler de mes peintures. Tout ce que je vis apparaît dans mes peintures, même si tout est transformé d’une manière abstraite. Je traduis toujours des émotions d’états d’êtres qui me traversent.
Être le narrateur, c’est être le maître de son destin ?
Non pas être maître de son destin, mais utiliser le je pour se raconter. Le livre s’intitule L’Aventure intérieure, mis à part les dates chronologiques que je donne, je parle surtout de ce qui se passe dans ma tête, et c’est ça qui traverse mon travail plus que l’extérieur. Je suis un peu introverti, et la vie qui m’intéresse le plus, c’est la vie qui se passe à l’intérieur de moi.
Le livre permet de classer et d’ordonner ton travail.
En écrivant j’ai découvert plein de choses sur moi. J’ai redécouvert des tableaux que je ne m’étais pas expliqué en les peignant. Avec le recul, des choses m’apparaissent aujourd’hui. J’ai appris sur moi-même en faisant ce travail.
C’est un portrait schizophrénique entre Olivier Rizzo et Speedy Graphito, entre le créateur et sa créature : il a pris trop de place dans ta vie ?
Il n’a pas pris trop de place. A travers Speedy je parle de moi, cela me permet d’avoir plus de recul, cela me permet de mettre plus de distance, j’arrive à être extérieur. Dans les bons livres les héros meurent toujours à la fin, à la dernière page de mon récit il m’a paru normal de le faire mourir. Ce livre est rétrospectif, il retrace toute ma carrière, il me permet de fixer les événements dans le temps grâce aux dates. Cela me permet de changer de nom comme je l’avais envisagé en 2003 avec l’exposition Wake up à la galerie Polaris. Je passe de Speedy Graphito à Olivier Rizzo.
Est-ce un changement définitif ?
Je n’accorde pas une très grande importance au nom, mon travail n’est pas radicalement différent, je suis toujours la même personne. Par contre, cela m’a donné beaucoup plus de liberté, je me suis libéré de l’image que les gens avaient de moi. Je me sens beaucoup plus libre aujourd’hui de partir dans des directions différentes. Maintenant, si j’ai envie de faire des choses je ne me demande plus si c’est bien, je les fais sans complexes, je ne me pose plus de questions parce que je suis tout neuf.
Tu commences le livre avec une référence aux Mystères de l’Ouest et plus précisément à un épisode où les personnages entrent et sortent de tableaux, toi tu as décidé d’être dans la vie, tes cimaises ont d’abord été des pavés.
Quand tu commences à faire de la peinture il n’y a pas de place pour toi. C’est très difficile de montrer ton travail quand tu débutes, je ne me sentais pas l’envie d’aller avec mes cartons sous le bras faire les galeries. C’était plus simple d’aller dans la rue, mais surtout cela me permettait d’avoir un contact direct avec le public. Spontanément les gens me donnaient leurs avis. Je mettais mon numéro de téléphone sur les toiles et grâce à cela j’ai eu des contacts et j’ai trouvé du travail. Cette expérience m’a beaucoup aidé.
Bizarrement la rue a été un tremplin mais aussi une impasse.
Je ne m’en sens pas prisonnier, parce que cela fait vingt ans que je fais de l’atelier. Je suis quand même passé de la rue à la galerie, ce qui n’est pas le cas de tout le monde ! A ma première exposition il y avait déjà deux galeries qui voulaient m’exposer. Cela aurait pu être un enfermement, si j’avais donné aux gens ce qu’ils attendaient. Le petit personnage que j’ai créé au début était super médiatique, tout le monde en voulait, et, systématiquement, dans les expos je ne le montrait pas. Je l’ai tué assez rapidement, il a dû durer un an et c’est tout. J’aime bien toujours faire ce que les gens n’attendent pas de moi.
Avoir été trop médiatique a-t-il été un frein à ta carrière de peintre ?
A l’époque, toutes les galeries déconseillaient de prendre des artistes comme moi, cela donnait une image très négative. Le monde artistique aime bien contrôler les choses et moi j’étais complètement libre car j’étais soutenu par la presse non-artistique et par le public, et ça le milieu il n’aime pas. J’étais un peu en marge du système.
Miss Tic, dans une précédente interview, me parlait du mal à intégrer les collections et les institutions.
J’ai jamais eu d’achat de la part de l’État, alors que j’ai l’impression que mon travail représente quelque chose… Mais je sens quand même que les mentalités évoluent. Le temps joue en ma faveur, cela fait vingt que j’existe. Le bouquin me sert aussi de promotion, cela permet de présenter des travaux que les gens ne connaissent pas, c’est-à-dire 90 % de mon travail. C’est pas parce que les médias ne parlent plus de toi que tu ne fais rien : je travaille tout le temps, tous les jours. Le livre a un impact très positif, depuis sa parution je n’arrête pas, j’ai plein de propositions.
Un aspect de ton travail se fait sur des supports mobiles : passage piéton, camion, voile de bateau, timbre, vêtement de cosmonaute… Il y a souvent l’idée de mouvement, de déplacement, comme Super Mariol, ton héros pastiché.
Ce que j’aime bien dans l’art de rue c’est qu’il se donne directement aux gens, il n’est pas réservé aux intellectuels ou aux galeries. L’art fait partie de la vie, et la vie, elle est partout. Je ne suis pas contre les galeries, je trouve bien d’être dans les galeries, mais il y a autre chose, et c’est bien d’être dans la rue ou sur une boîte de lait. Cela fait partie de l’époque, et j’appartiens à mon époque, et je veux vivre avec, et je ne veux pas séparer les choses. Je veux que les champs d’expression soient les plus grands possibles.
Tes travaux dans la rue traçaient-ils des parcours urbains ?
Pas vraiment, par contre la plupart du temps, quand je fais quelque chose dans la rue, il y a d’autres gens. Tu fais des travaux en commun et en improvisation, cela permet de dégager de l’énergie.
Tes déambulations sont surtout des labyrinthes mentaux, une part cachée de toi ?
J’aime l’idée que chacun puisse trouver ce qu’il cherche dans mes peintures. Je n’aime pas donner des réponses, je préfère provoquer des questions. J’aime que l’on puisse se frayer son propre chemin dans mes toiles. A chaque interprétation que l’on me donne, je réponds toujours par oui, car il n’existe pas une seule solution. Même moi, j’y vois des choses différentes, en fonction de mon état d’esprit. L’interprétation ne doit pas êtres statique, elle doit évoluer avec le temps, cela doit-être un moyen pour se connaître.
Le jeu vidéo est un modèle qui pourrait te caractériser : c’est à la fois initiatique et ludique. C’est un parcours, il y a des embûches, tu es le héros de cette vie pixellisée, de cette vie picturale, de cette vie de “Lapinture” ?
Je suis très jeu vidéo, j’ai beaucoup joué aux jeux vidéos, c’est quelque chose qui me plairait à fabriquer, car c’est interactif, tu peux te faire ta propre histoire. J’apprécie beaucoup les jeux de rôle, car chaque joueur vit sa partie d’une manière différente, il termine le jeu différemment aussi, et ça, je trouve ça très fort. C’est un peu la même chose qu’avec les interprétations pour les tableaux, il faut que chacun se raconte sa propre histoire, et ça c’est toujours une récompense.
Le livre est l’occasion de faire un bilan. C’est aussi une tranche de vie personnelle et générationelle. Le tout est très marqué années 1980.
Je ne sais pas, mais si j’ai réussi à traduire cette époque c’est super ! Pour chaque année je me suis replongé dans les articles pour avoir l’ambiance.
Il y a moins de peintres dans la rue, plus des tacticiens, te reconnais-tu dans cette façon d’appréhender la rue par les artistes post-graffiti ?
L’art est à l’image de son époque. Je suis assez ouvert à ce qui se fait, j’aime bien tout ce qui se fait.
Publications
Speedy Graphito, L’Aventure intérieure , Orsay, Éditions Critères, 2004.
Olivier Rizzo/Speedy Graphito expose à l’Espace Tiphaine Bastille (8, passage de la Bonne Graine, Paris, 75011) jusqu’au 5 juillet 2004, en compagnie de Jérôme Mesnager et de VLP (Vive La Peinture).