André Gamet, Karim Kal
Souvenirs d’en France
Le Bleu du Ciel a choisi de mettre en regard les travaux de deux photographes français, André Gamet et Karim Kal, ceux-ci séparés par plusieurs décennies.
André Gamet a parcouru la France d’avant et d’après guerre réalisant des témoignages visuels d’une époque en voie de disparition de la ruralité à la société postindustrielle, nous proposant un parcours rétrospectif et historique. Il a assemblé scrupuleusement des épisodes personnels et des scènes fortes de ces grandes mutations de l’après guerre, et s’arrête parfois, rêveur ou prophétique, sur des instants atemporels: Jean Cocteau contemplant le paysage à ses pieds, Alice tournant la tête sur sa bicyclette ou ces enfants égarés réfugiés espagnols.
Dans la tradition de la photographie humaniste des années cinquante-soixante, André Gamet nous délivre ce regard attentif, chargé d’aménité et de complicité sur ses concitoyens, qu’il teinte parfois d’ironie légère ou de tristesse, qui crée une familiarité avec le spectateur d’aujourd’hui, le reliant à cette «identité française» de l’inconscient collectif de ce pays. Ses photographies dans leurs grands aplats de lumière et de clair obscur, d’où se dégage l’évidence naturelle de l’iconographie noir et blanc, avec ces personnages en situation saisis dans des cadrages raffinés, et des postures si flagrantes qu’elles en deviennent iconiques, orientent surement notre esprit quoique désarmé et adouci, vers cette vision rassérénante d’un passé commun.
Quant à Karim Kal, il cultive le projet de couvrir les paysages urbains contemporains bien que souvent issus du boom industriel des années soixante et s’applique scrupuleusement à recenser des documents sur cet environnement territorial. Il décrit les banlieues et les grands ensembles des cités traversés de limites et de barrières architecturales pour en montrer la déshumanisation, mettant à jour des stratégies politiques de concentration et relégation de populations défavorisées.
Pour «Souvenirs d’en France», il présente une sélection de photographies d’un projet en cours, l’Arrière-pays, entamé en 2011. Initié en banlieue Parisienne, à l’occasion d’une résidence, le projet s’est poursuivi depuis dans la région lyonnaise. Il s’est d’abord constitué de vues d’architecture de logements sociaux, puis de détails et de paysages. Les photographies noir et blanc traitent de qualité de vie, de normalisation, de rapport à l’autorité, de paroles individuelles au sein du tout collectif. En cité, dans une prison et plus récemment dans un hôpital, ce travail propose une forme de poésie de la relégation.
André Gamet et Karim Kal se retrouvent sur l’emploi de l’esthétique noir et blanc qui survole les années, confirmant la capacité innée de la photographie documentaire créative à décrire les réalités sociétales actuelles.
«Montrer André Gamet et Karim Kal de concert, que sépare soixante cinq années entre deux siècles, s’inscrit dans cette conception de la continuité de ce matériau d’expression, qui a l’unique privilège — avec le cinématographe — d’être le médium visuel de ce réel, qui unit science et art. Le temps s’écoulant, un instant arrêté comme illusion de réalité, engendre ensuite des souvenirs nourris d’imaginaire humain. Et l’actualité de Karim Kal sur les territoires urbains fait sa jonction naturelle et monochrome avec le monde disparu d’André Gamet, sur ce papier d’argent, symphonie a-temporelle… d’en France.»
Gilles Verneret
Vernissage
Jeudi 13 février 2014 à 18h30