Paul-Armand Gette est tombé dedans quand il était petit. L’histoire a quelque chose d’un conte de vacances : encore enfant, il rencontre une fille de quelques années son aînée avec laquelle il sympathise rapidement. Dans une proximité que l’on imagine grandissante, elle lui montre l’herbier qu’elle a constitué, un cahier plein de fleurs, d’herbes et de plantes séchées. Tout un paysage à portée de main, un monde, aussi, prêt à s’ouvrir à lui.
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Dans son esprit, les deux images se télescopent, celle de la fille assise à ses côtés et celle d’une nature à la fois foisonnante et classifiable. Paul-Armand Gette n’a pas cessé depuis de filer la métaphore, de naviguer du corps au paysage, de fondre l’un dans l’autre dans une équation simple mais sensuelle : corps = paysage. En découle tout un vocabulaire de pétales de roses, de pierres, de buissons et une obsession pour le triangle, cette sainte trinité, ce calice de l’hédonisme.
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Avec Paul-Armand Gette, c’est également un autre regard sur le modèle qui s’amorce, l’envie de lui rendre sa liberté, de faire resurgir sa personnalité. Le modèle l’emporte sur le sujet, il ne disparait pas derrière un discours. L’enjeu de son travail se situe ainsi dans l’instauration d’un jeu entre le modèle et l’artiste. Et qui dit jeu, dit plaisir.
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La série de polaroïds qu’il expose à la Galerie Philippe Chaume aborde ce thème, le moment où se profile le désir, où tout bascule. Paul-Armand Gette n’est pas un photographe. Il se moque de la lumière, du cadrage, de la netteté, de la mise en scène. Il s’intéresse plutôt à une sorte d’archéologie du plaisir. Pour en rendre compte, il travaille sur le terrain avec les moyens du bord, dans l’immédiateté que procure un appareil polaroïd.
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Il réunit les images en diptyques ou triptyques, les classe et les numérote comme des planches scientifiques, des témoins d’une expérience. On y voit Sophie, le dévoilement de Sophie.
Avec une patine très années 80, les polaroïds révèlent ses formes, ses vêtements à moitié enlevés, sa culotte gisant sur le carrelage de la salle de bain. Cette plongée dans l’intimité du modèle et vraisemblablement dans celle qui le lie à Paul-Armand Gette ainsi que le découpage temporel des photographies a pour effet de faire travailler l’imagination du spectateur, de lui permettre de projeter ses propres désirs et fantasmes.
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A l’heure des images toujours plus trash, toujours plus chocs et des scènes hardcore en accès libre à la maison, les polaroïds de Paul-Armand Gette paraissent bien sages. Il est pourtant considéré comme un artiste provocateur et, pourquoi pas, un brin pervers.
Si la pudibonderie est une tare qui n’est pas prête de s’éteindre, qu’est-ce qui dérange autant chez Paul-Armand Gette ? Il faudrait bien évidemment poser la question à tous les choqué(e)s, les coincé(e)s, les frustré(e)s, à tous ceux-celles qui s’ennuient, qui n’ont franchement rien d’autre à faire que de monter au créneau pour une tranche d’intimité et de sensualité.
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Emettons toutefois une hypothèse : il est parfois difficile de se voir tiré de sa passivité de spectateur pour être renvoyé à ses propres machines désirantes. Encore un petit effort… A moins que ce ne soit le rapport à son modèle qui trouble tant les esprits, cette charge directe de l’érotisme.
Paul-Armand Gette
— Souvenirs de S II… Polaroïds rephotographiés. 50 x 65 cm