Aliénor Dauchez et Dmitri Kourliandski présentent Sous vide, un spectacle qui conjugue performance et musique pour questionner la relation intime de l’homme à ce lieu mythique et énigmatique à la fois qu’est la caverne.
Des créations singulières
Entre performance et théâtre musical, les créations d’Aliénor Dauchez échappent aux classifications artistiques habituelles, mais ont toutes en commun la volonté de solliciter activement le spectateur qu’elle met en situation d’auditeur, la musique tendant à jouer un rôle central dans ses spectacles.
Si les créations d’Aliénor Dauchez relèvent donc des arts scéniques ou plastiques, toutes entendent instaurer un rapport radicalement autre à l’espace et provoquer un trouble de la perception du spectateur qui est aussi, parfois, auditeur. Dans une installation performative comme L’errance, Aliénor Dauchez conviait les spectateurs à entrer en sa compagnie dans un cube s’ouvrant et se fermant de façon continue. Mais, une fois fermé, le cube devient alors une chambre noire sans écho, entraînant une perte totale de repères. Dans une autre performance, Schweige-performance, Alexanderplatz, Aliénor Dauchez proposait une autre expérience puisqu’elle se tenait debout, immobile et sans mot dire, sur la place Alexanderplatz, à Berlin.
La musique, quant à elle, a pu prendre une part importante dans les créations d’Aliénor Dauchez, notamment la musique contemporaine. Vivant à Berlin, elle a eu l’occasion d’élargir sa culture musicale : «C’est à Berlin que je me suis initiée à l’opéra – domaine que je ne connaissais pratiquement pas. À la base, ma culture musicale se situe plutôt du côté de la chanson française et de la pop internationale. Plus tard, au conservatoire, j’ai découvert la musique contemporaine et j’ai trouvé ça génial, avec un coup de cÅ“ur en particulier pour Hindemith.»Â
De Hardcore à Sous vide
Ce goût de la musique contemporaine a conduit Aliénor Dauchez à mettre en œuvre différents projets, qu’elle met en scène et scénographie. Elle conçoit ainsi avec l’ensemble berlinois de musique contemporaine Kaleidoscop, deux pièces : Hardcore et 1.2.2.4.4 – eine Metapraxis. Significative du travail d’Aliénor Dauchez, Hardcore place le public est placé au centre de la scène, près du chef d’orchestre. Les musiciens se déplacent alors autour de ce dernier donnant à entendre la musique selon différentes perspectives.
D’autres créations, telles Verstehen Sie Bahnhof ? et XI – ein Polytop für Iannis Xenakis, semblent nous rapprocher de Sous vide. Ces deux pièces prennent en effet pour scène des lieux de passage – gare, stations de métro, places – qui sont occupés par des musiciens et des danseurs dont les compositions chorégraphiques et musicales entrent en correspondance avec le lieu choisi et le moment.
Sous vide
Nouvelle création, Sous vide est une performance se déroulant dans un lieu confiné singulier, un réfrigérateur. Réfrigérateur vitré permettant aux spectateurs de suivre les évolutions d’Aliénor Dauchez, enfermée dans un objet de notre vie quotidienne symbolisant cet autre lieu de l’imaginaire occidental qu’est la caverne.
Si la caverne a pu être longtemps pour les hommes un refuge naturel contre les intempéries et les animaux, elle occupe désormais une place privilégiée dans notre imaginaire, comme représentation de la distinction entre intériorité et extériorité. Représentation devenue mythe philosophique chez Platon puisque la caverne n’est autre que le lieu de la fausseté illusoire dont les hommes devraient sortir pour aller vers la vérité. La découverte des grottes de Lascaux et de ses peintures rupestres ne manquera pas de nourrir hypothèses et réflexions, Georges Bataille rapprochant dans son livre, Les larmes d’Eros, mort et érotisme. De même, des acousticiens découvriront les rapports entre peintures et propriétés sonores des souterrains.
Sous vide reprend à sa manière cette «histoire», le frigidaire symbolisant notre intimité moderne, laquelle tend à se réduire au repli sur la sphère privée accentué par l’usage des réseaux sociaux et des nouvelles technologies. Sous vide se présente alors comme l’expérience même d’une telle intimité ; expérience tout à la fois physique et sensorielle, et plus particulièrement auditive.
Entrant dans un volume réduit, Aliénor Dauchez découvre, et fait découvrir aux spectateurs les sonorités d’un espace singulier, retravaillées sur scène par le compositeur Dmitri Kourliandski, tout en faisant entendre des extraits de textes de Platon, Jules Vernes, ou encore Georges Bataille, questionnant le rapport de l’homme à la caverne.