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Soupe de têtes de fantômes

Tous les mois et demi, ou presque, la Fondation Ricard change de peau au rythme d’une programmation éclectique, qui fait la part belle aux commissaires-artistes. Après l’Expédition (très réussie) de Stéphane Calais — sorte d’hommage au dessin, dans sa modestie et sa fragilité —, c’est au tour de la Soupe de têtes de fantômes de Pierre Ardouvin, concoctée avec une délicieuse et vénéneuse malice.
Après les ambiances d’école primaire, crayonnage sur feuilles volantes (Aurélie Salavert), les relents de satire sociale (Antoine Marquis, Guillaume Dégé) et de calligraphie où le trait, philosophe et architecte, sublime la page blanche (Sylvia Bachli), Pierre Ardouvin nous cuisine une exposition en forme de paradoxe. Fortement épicée, elle se savoure dans son ambiguïté première, laissant sur nos papilles un goût de Fin du monde drolatique, de parc d’attraction pour adulte, de train fantôme joyeusement terrifiant.

Dans la marmite de l’artiste flotte toute une iconographie de grand magasin, du bibelot de grand-mère aux gadgets dénichés dans les boutiques de farce et attrape. L’enfance, le jeu, le kitsch y occupent une place centrale. Arrachés de leur contexte, organisés en des sculptures, photographies ou installations-ready-made, ces objets de l’ordinaire, étrangement exilés, teintent le banal d’un coloris nostalgique.
Un chien loup en macramé côtoie un ballon au faciès de mort vivant, tous deux englués dans une sorte d’amalgame dentaire à la sédimentation grossière — bouillie d’ectoplasmes digne d’un SOS fantômes. Et l’association au film de d’Ivan Reitman n’est en rien anodine, car le travail de Pierre Ardouvin reste emprunt de cette culture télévisuelle de masse, porteuse d’une mythologie populaire et personnelle, où la fiction rejoint  l’intime. L’artiste fabrique un cinéma standardisé, dont le scénario, à base d’objets, de souvenirs (individuels et collectifs), perturbe l’identité de l’œuvre, souvent à la limite du fonctionnel comme ces têtes fantômes géantes utilisées comme portemanteaux de fortune pour vêtements démodés.

Manipulateur, Pierre Ardouvin l’est depuis toujours. Son travail est équivoque, d’essence résolument schizophrénique. Chacune de ses constructions, de ses fictions portent en elles un antagonisme. Chez lui, le ridicule confine au tragique, le ludique ricane comme une hyène, les jouets abandonnés résonnent d’une innocence morbide. Une baudruche en vinyle noir, occupant de sa masse informe une partie de l’espace, fait entendre son souffle rauque : respiration d’un organisme vivant ou ronronnement d’une machine ? Qui est donc ce monstre invertébré, à la fois douillet et menaçant, qui rappelle les jeux de plage pour enfants et les terreurs nocturnes ?

Confrontée à cette incapacité d’établir un diagnostic fiable, à cette impossibilité d’identification, notre perception reste instable, sans repères. La Fin du monde, palissage en bois enguirlandée de lumignons et couverte de lierre, a des airs de guinguette. Barricade ou barrière domestique ? Marque de protection ou de frilosité ? Propriété ou exclusion ? Dans l’exposition, les questions restent sans réponse et les certitudes n’ont pas lieu d’être. Et c’est le propos, énigmatique, qui rend justement l’ensemble cohérent, liant les œuvres entre elles, les préservant de l’anecdotique. Avec, partout, cette mélancolie diffuse de lendemain de fête, qui laisse Winnie l’ourson et Skeletor sur le carreau, oubliés au pied d’un sapin de Noël à l’agonie et bientôt engloutis par une neige factice.

Pierre Ardouvin
— La Chose, 2008. Bâche, PVC, systèmes de soufflerie, timer, L (6) x l (3,20) x H (3,50)m
— Soupe de têtes de fantômes, 2009. 12 éléments, dimensions variables. Vêtements, polystyrène
— Dior, 2009. Résine, peinture, paillettes, objets. 62 x 132 x 160 cm
— La fin du monde, 2008. Palissades de bois, lierres artificielles, lettrages en bois, sacs de  sable, guirlande d’ampoules oranges. 1,90 x 7,50 m

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