Michel Gouéry
Sortie de Vortex
«Lorsque je fais une pièce hérissée de fourchettes, je vois bien que cela ressemble à une pièce vaudou, mais je ne vais pas jusqu’à faire couler du sang dessus», Michel Gouéry.
En y songeant, l’idée que Michel Gouéry allait avoir de la sympathie aussi bien pour les grands peintres que pour les quatrièmes couteaux, est une chose dont il a eu conscience très tôt. Adolescent, il a découvert Escher et puis, le moment est venu pour lui de comprendre qu’il ne faisait pas partie des peintres importants que sont Picasso, Matisse, Pollock, Newman… Mais plus tard, il a fait revenir Escher parce que sans doute cela l’ennuyait de l’avoir laissé tomber. H.C. Westermann n’est pas un artiste faisant partie du Top 10 de sa génération, mais lorsque l’artiste a découvert ses dessins et ses sculptures, son oeuvre l’a complètement enthousiasmé. Il en va de même pour celle de Bill Copley qui est loin d’être une référence majeure aujourd’hui, alors qu’elle le fait jubiler et lui donne immédiatement envie de faire quelque chose. Mais il lui faudrait aussi citer nombre d’artistes de ce qu’on appelle l’art brut: Martin RamÃrez, Augustin Lesage, Fleury-Joseph Crépin… qui l’ont beaucoup influencé. L’artiste a fait des peintures dont les formes, les couleurs, la composition… sont empruntées à Lesage ou à Crespin. Certes, il faisait les choses à sa manière, mais, en ce qui les concerne, l’influence ne se limitait pas à donner envie de faire des choses, et l’artiste est toujours frappé et troublé par la manière avec laquelle Lesage, à une époque marquée par les problématiques cubistes, a poussé le décoratif et la symétrie aussi loin que possible.
Quant aux images produites, elles subvertissent aussi toutes tentatives visant à établir des catégories: abstrait, figuratif, images populaires, images savantes — le peintre passant d’une catégorie à une autre, parfois dans le même tableau, avec l’humour qui lui est propre. Les images, elles aussi, viennent du plus large réservoir possible: roman-photo, peinture classique, timbres-poste, photographies, illustrations… Face à une telle accumulation la peinture est toujours à la limite entre la beauté et le kitsch, toujours à la lisière. Du coup le spectateur ne sait plus si la peinture est bonne ou mauvaise ou s’il a bon ou mauvais goût. Il est piégé, mis en face de frontières qui sont devenues inopérantes, n’ayant plus qu’à utiliser sa subjectivité en place de ses références habituelles. Ainsi, la peinture de Michel Gouéry atteint une mise en cause de notre culture et de notre capacité à fonder un jugement esthétique autrement que sur des a priori culturels. La peinture de Michel Gouéry de 1994 à 2000-2001 est une tentative pour faire de la bonne peinture avec des images impossibles ou incongrues. En 2000-2001, les sculptures vont devenir de plus en plus complexes avec, principalement, des sculptures d’assemblages colorés. Plutôt qu’assemblage, il faudrait plutôt dire empilement. Soit il peut s’agir du mammouth devenant le porteur d’osselets, de viscères, d’un cœur enflammé ou non… soit d’un pied de champignon aux allures schtroumpfesques ou devenant un godemiché surmonté d’éléments similaires. Si Michel Gouéry revendique les modèles iconographiques savants ou biographiques et si toutes ses sculptures sont des concrétions d’associations purement visuelles, elles sont, pour beaucoup, dans une iconographie souvent sexuelle ou scatologique. Ces sculptures sont délirantes — au sens psychanalytique — et peuvent associer images pornographiques, images de maladies cutanées et images de l’art dans des mises en relation données par des éléments biographiques mis à distance.
Éric Suchère