Après l’évocation du vide et de l’angoisse — auxquels faisait écho l’architecture moderne —, Luidgi Beltrame fait appel à leurs pendants, le sentiment du plein et la plénitude, auxquels répond ici le sommeil. Un rythme lent, quasi hypnotique, caractérise la succession des images des Les Dormeurs.
Flous et légèrement tremblés, embués et mouillés, les plans d’arbres, de brume et de maisons au clair de lune, s’accordent à la stridulation des grillons et autres noctambules. À cette suspension du temps s’articule l’entropie, fondée sur l’indifférenciation et le calme qui en résulte. Un ou deux personnages murmurent en voix off les phrases suivantes : «La frontière entre dedans et dehors s’est évanouie», «L’état où rien n’existe isolément», ou «Tout se fond dans tout».
En d’autres termes, le songe est le lieu de l’évanouissement du «moi», de sa dissolution dans le tout que constitue le monde.
Dans le même esprit s’inscrit Ukifune, Ukifune, de Kishin Shinoyama. Sur un fond gris subtilement dégradé, un acteur de kabuki vêtu de blanc et d’orangé est étendu au sol. Comme aspiré par la surface sur laquelle il repose, le personnage se confond avec son environnement: difficile de déterminer les limites entre lui et ce qui l’entoure.
Avec Naufragé sur un lit de moquette, Florence Doléac identifie à son tour le songe à l’abandon de soi. Un matelas géant en forme de tielle (spécialité culinaire sétoise) invite chaque spectateur à s’adonner aux plaisirs de la détente, jusqu’au point, peut-être, de s’oublier.
Synonyme d’évanouissement, le sommeil est aussi le lieu où intervient l’étrange. Des êtres hybrides peuvent y apparaître, tels les Misfits de Thomas Grünfeld, composés d’un corps porc et d’une tête de flamand rose, ou encore d’une taupe et d’une perruche. Entre répulsion et attraction, ces créatures rappellent le trouble que provoque un désir interdit. Dans l’ordre de la vie quotidienne le rêve fait remonter le désordre de l’inconscient.
Dans le même esprit s’inscrit l’équivoque photo d’Arno Nollen (Girl on a bed). Sur un lit recouvert d’un tissu bleu, une jeune femme presque nue, est étendue sur le dos les yeux fermés. Si le rose de ses cuisses, de sa gorge et de son visage, n’indiquait pas la vie, il serait possible de voir dans ce corps celui d’un cadavre. Par ailleurs, le repos apparent du modèle est parasité par la crispation des épaules. Ainsi, loin du calme, le sommeil est miné par les tensions et surplombé par la mort.
De son côté, avec Défilé 017, Gucci, Franck Perrin se fait l’émule du rêve comme surgissement du désir. Au centre d’un espace plongé dans l’obscurité, une femme, parée d’une robe bleue et de talons noirs, surgit avec la violence d’un éclair. Le brillant de cette figure, conjugué à l’indétermination de l’environnement, est à l’image des songes aussi intenses que troubles.
Enfin, avec l’Atelier Van Lieshout, le songe est rendu à sa dimension politique. Car, si le rêve est le lieu d’émergence du désir, il est par la même occasion porteur d’utopies. Commun Bed en est la mise en œuvre. À l’intérieur d’un mobile home, cinq individus se livrent à diverses activités, sous le signe du sexe et de l’alcool.
Atelier van Lieshout
— Commune Bed, 1998. Dessin sur papier. 63 x 93 cm.
Louiddgi Beltrame
— Les Dormeurs, 2006. Vidéo 13’10’’.
Florence Doléac
— Naufragés sur un lit de moquette, 2008. Technique mixte. 3 mètre de diamètre.
Thomas Grünfeld
— Misfit, 2006. Taxidermy.
Arno Nollen
— Girl on Bed, 1997-2009. Tirage couleur. 120 x 180 cm.
Frank Perrin
— Défilé 017, GucciI, 2005. Diasec. 150 x 120 cm.
Kishin Shinoyama
— Ukifune, Ukifune, 2003. Impression jet d’encre. 91,5 x 122,5 cm.