ART | CRITIQUE

Sommes-nous l’élégance

PPaul Brannac
@19 Oct 2010

Refaire — refaire — refaire. Aucun produit — de la nature ou bien d’un homme — qui ne soit reproduit. Qu’y a-t-il encore de nature dans l’image dénaturée? et quoi de forêt dans un bout de bois? Et celui qui refait ce qui a été fait, que lui reste-t-il de l’élégance?

Il n’y a presque rien de parlant dans l’exposition de Didier Marcel; presque rien de plaisant. L’imitation des faux rochers est grossièrement exécutée, le trompe-l’œil du grillage l’est pauvrement. La mousse blanche avec laquelle il recouvre ses troncs d’arbre est sale déjà, comme la neige expansée des sapins de Noël. Ses références à l’histoire de l’art, ses idées sur l’artificiel et le naturel, sur l’action de l’homme à l’égard des formes innées ou supposées telles, seraient également terre-à-terre si, dans le contexte de son œuvre, cette expression ne passait pour flatteuse.

Didier Marcel a aligné les stères de bûches, puis des rochers de papier mâché, et imprimé contre le mur, enfin, un grillage sérigraphié. Trois lignes qui forment une perspective longue de vingt mètres, un Travelling entre le bois réel, la fausse pierre et l’image sans épaisseur. Un paysage débité, peint, enduit; un paysage en fuite, en fuite vers les quatre troncs de Péristyle (1995-2010).

Là, Didier Marcel a haussé ses arbres tronqués sur des pieds de table, il les a moulés et «moussés» de blanc, sans escamoter cependant les veinures propres de chacune des quatre écorces. Ces propylées sont déjà les fûts d’une colonne de marbre, et ce sont encore des arbres, des arbres manchots et sans racines.

Les rênes de Clairière (2010), au contraire, ont conservé leur ramure — leurs bois — mais seulement cela. Il a suffi à Didier Marcel de quelques coupes et de quelques soudures, de presque rien en fait, pour que des tiges de fer évoquent une assemblée de rênes. Et ces bois de fer, de fer à armer le béton, disent ce qui persiste de l’animal quand l’animal n’est plus là, comme la coquille des escargots est, chez Francis Ponge, «partie de leur être» et «en même temps œuvre d’art, monument. Elle, demeure plus longtemps qu’eux».

La synecdoque du poète équivaut en art au détail, à ce bout qui suffit pour rappeler le tout. Mais ce qui reproduit l’animal perd l’animal, il fait de lui une image; la représentation soustrait la présence et ce qu’elle représente n’est plus; elle a pris une autre forme, elle s’est transformée, avec la violence d’un homme qui fait de la nature l’image ou les mots car, écrit encore le poète, «l’on ne peut sortir de l’arbre par des moyens d’arbre».

L’artiste exprime la violence que l’art exige — le prix de l’art, son tribut à la nature pour parvenir à l’élégance qui est la beauté des choses telles qu’elles sont, leur beauté naturelle, consubstantielle et inexplicable; et qui peut être celle des êtres. En passant du fait biologique brut de la bûche de bois, brut d’authenticité, à la sérigraphie d’un grillage, Didier Marcel dit le passage à l’image, et la brutalité de ce passage. Et celui qui contemple ces transitions, celui-là en est complice, mais nécessairement, naturellement.

C’est peut-être cela qui sourd lentement, sans doute avec ennui, certainement à rebours, des sculptures installées de Didier Marcel. Non pas la nostalgie, pas exactement non plus la mélancolie, qui appartient toujours plus à l’artiste qu’à ses œuvres, mais une forme étrange de tristesse, une forme d’elle qui fait que plus rien ne bouge en soi, de sorte que même la nature regardée paraît immobile, une tristesse pleine, vaste de ce qui nous entoure.

Sommes-nous l’élégance, Installation, 2010

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