Francesco Finizio
Something for everybody
«Si je me souviens bien, les astronautes américains mangeaient de la glace pendant leurs voyages», dit l’un des robots en polystyrène dans la vidéo Visionquest.
Francesco Finizio préfère parler d’ex-humains plutôt que de robots, des entités qui fabriquent un souvenir futur des habitants de la terre. Ou alors des humains qui, dans un avenir lointain, auraient transformé entièrement leurs schémas psychiques, théoriques et émotionnels par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui. Le film retrace un voyage qui va de la conquête de l’espace à des considérations sur la survie, la chaleur et le fast food.
Cette tension entre l’infiniment grand, l’ambition de la pensée et la dimension la plus intensément banale de la production, de la consommation et de l’accumulation quotidiennes, traverse toute l’exposition. Ces robots/ex-humains sans qualités qui parlent tous d’une même voix de synthèse, cherchent à produire des émotions dont ils n’ont pas besoin.
La nostalgie des sandwichs de maman devient une image de la vie terrestre qui disparaît rapidement face au constat que les mamans leur sont des «corps étrangers». L’envie de manger des glaces retombe aussi à partir du moment où ils se rendent compte qu’il faut se déplacer pour les trouver. Ils n’ont même pas besoin de corps à vrai dire.
Désormais, en un clic et avec une carte de crédit, tous les besoins (réels ou fabriqués) sont à la portée d’un seul doigt. Tout se mesure alors à des enjeux de connexion, utilité, rapidité, commerce à distance, production globalisée, gestion du temps, lieu de travail, solitude, organisation de la sexualité et hygiène corporelle. Il s’agit d’augmenter la capacité à être immobile: un doigt, un écran d’ordinateur et des pizzas sur commande. Paradigme de la globalisation alimentaire, la pizza peut glisser facilement sous une porte, sans même avoir besoin de croiser ceux qui la distribuent. Et «même la pire des pizzas trouve son public».
D’ailleurs, le titre de l’exposition «Something for everybody» l’annonce d’emblée: il ne faut pas s’inquiéter, il y en aura pour tous les goûts et besoins, quels que soient la motivation ou le cadre de références culturelles.
Un Vision Center met en espace une rangée de chaises face à des écrans aveugles, des tapis d’entrée et des boîtes d’emballage, établissant là encore une tension entre des objets sans qualités et des surfaces de projection, des images-écrans. Les chaises constituent un collectif, un club, mais garantissent une distance réglementaire qui individualise les usagers.
L’hétérogénéité des chaises qui traversent l’histoire du design, les hiérarchies identitaires, sociales et économiques, mais aussi la différence d’échelle entre les écrans (annulée par la variation de distance entre les chaises et le mur), sont ici ramenées à une condition commune, mise en réseau dans le temps mais sans connexion dans l’ espace. L’idée de futur est forcément collective mais elle s’appuie sur des outils technologiques qui définissent un usage individuel, personnalisé, désolidarisé.
C’est quand un moniteur s’éteint qu’il regagne sa condition d’objet, de carré noir, de boîte à projections, qui émet plus puissamment des résidus de mémoire. Il peut alors fonctionner comme le monochrome dans l’histoire de l’art, un tableau-objet qui contient tout, support de discours engageant des positions politiques et esthétiques parfois contradictoires. Dans un même mouvement, ces écrans matérialisent notre relation («psychotrophique » selon Francesco Finizio) à la réalité et donc à l’art: comment fait-on pour se passionner pour des cubes et des parallélépipèdes, pour l’organisation des couleurs et matériaux?
Les objets sont nécessairement alimentés par le discours qui rejoue à chaque fois le scénario d’une chaise, d’un objet à piétiner. Mais c’est aussi le scénario de l’espace de la galerie que l’artiste transforme dans ses dernières expositions. La fonction même du lieu est ici condamnée dans le cas d’une des salles, bloquée par une palissade en bois.
Cette fermeture ouvre ici un autre espace, une arrière-salle, un débarras pour le désordre inconscient qui semble néanmoins garder une fonctionnalité à travers une porte minuscule, une chatière au ras du sol. Pour regarder alors cette Progress Plaza il faut se mettre à quatre pattes, à l’endroit d’un quadrupède. De l’autre côté, des plats de nourriture pour chat peuvent devenir des satellites ou des vaisseaux spatiaux, la vision d’un cosmos low-budget ou le décor d’une discothèque silencieuse, presque mélancolique, appelée Pussy Palace.
Cette vie ramenée à l’essentiel évoque, pour Finizio, le devenir animal de l’artiste, quand il ne peut faire que ce qu’il fait, qu’il est appelé en permanence à faire autre chose, à survivre.
Sur une photo prise au musée spatial de Moscou, trois cosmonautes héroïques font un pique-nique dans un décor de neige et regardent le lointain, un horizon où se trouvent des toilettes publiques. Ce fantasme d’un futur déjà archaïque, à la fois fasciné par la conquête d’autres planètes et digéré par le musée, peut alors se trouver dans tout objet misérable transformé par le désir d’y voir autre chose: des cailloux empilés sont des scaphandriers des ciels, des melons vendus sur une route ukrainienne servent de casques d’astronautes.
Francesco Finizio inscrit son travail et sa vie dans cette zone de négociation risquée entre l’ambition de fictionnaliser les déchets accumulés par l’humain et le courage d’assumer la violence et même la beauté prosaïque du réel. (Pedro Morais)
Un partenariat Vidéochroniques et Technè dans le cadre du Festival RIAM-09-NOW FUTURE.
Membre du réseau Marseille expos.
Vernissage
Samedi 27 octobre 2012