L’enjeu d’exposer le travail de M.C. Chaimowicz, en deçà d’un ensemble rétrospectif, est son inscription pertinente dans l’espace. Car depuis près de 40 ans, l’artiste recombine et réactive, sinon les mêmes objets, du moins un répertoire semblable. Revisitant les formes du design moderne et de l’art déco, il a toujours privilégié le plaisir esthétique redouté par les courants formalistes des années 1970.
Bien que les volumes du Frac soient presque vides, nous entrons en un lieu habité. Les titres de Bowie, Dylan ou Joplin nous indiquent la présence fantomatique d’une installation à l’espace saturé en une pièce close, alors que le reste des étendues est aéré, et les pièces de mobilier presque cachées. Seule au bout du couloir, la maquette à échelle 1 d’un kiosque attire l’oeil en ce havre d’intimité.
Ce Kiosque, précisément, est un concentré des enjeux du travail de M.C. Chaimowicz. Malgré sa nudité, à la manière des infrastructures vides qu’expose un Fabrice Gygi pour en souligner les effets de simulation sociale, cette guérite aux courbes élégantes habille un élément de mobilier urbain qui tout à la fois signale, s’adresse à l’extérieur et abrite, délimite un espace privé (il est une pièce pour une personne debout). Une ambivalence typologique qui s’illustre en chacun des meubles composant la « chambre » qui suit. A la frontière entre un art performatif et le design, qui cherche à incarner les problématiques de nos vies intimes et d’un être-ensemble, l’artiste projette sur les objets nos usages en ce qu’ils ont d’ « adolescent ». A travers les coloris pastels et les motifs décoratifs empruntés à Matisse et à Cocteau pour orner tapis, coussins et papier peints, mais aussi les deux coiffeuses — l’une investie de menus objets et l’autre présentée vierge en display — M.C. Chaimovicz semble aimer l’adolescence pour son état d’indétermination.
Cet univers en pré-formation, qui passe par une déformation du goût et des références, oscille entre l’audace et une nostalgie en génération permanente.
L’audace y est ce qui tend l’intime vers l’étranger, le baroque. Ni tout à fait lit, ni canapé, le socle en contreplaqué aux tapis et coussins épars, offre un volume discrètement asymétrique, une inclinaison douce et dynamique. Quant aux coiffeuses, leur design allie stabilité (axe central du miroir) et coquetterie (coloris clairs et boutons de tiroirs), à un déséquilibre fantaisiste (le pied droit forme une grosse goutte, le caisson de rangement est penché).
La nostalgie y respire dans l’écart entre nos tentatives de célébration au quotidien (la décoration en est une), et la vanité de leur incarnation (plus nos objets cherchent à « faire » monument, plus ils meublent un univers du « fake »). Le monde de pacotille laissé là , entre autres peuplé de lettres nouées d’un ruban, ou d’un agenda et d’un téléphone portable customisés avec des perles de rocaille, organise une timide élévation de soi, mêlée d’une indistinction des genres (le papier peint est séparé en deux murs, rose pâle et bleu-gris, sans que les espaces correspondent à deux univers circonscrits).
Car selon l’artiste, « le personnel est politique », et la construction d’une singularité accouche moins d’une identité claire que d’une « succession d’identifications », d’un « processus d’individuation », disait Vincent Pecoil à l’occasion de l’exposition à Cluny en 2003. L’installation maîtresse Celebration ? Realife, vous envahit d’une nuée sentimentale qui connecte entre eux les éléments disparates jonchant le sol d’une pop culture universelle (une de Libération annonçant une victoire au foot, statuettes miniatures et cartes postales de Rodin). Sur fond de fin de soirée (guirlandes lumineuses, restes de travestissement), la charge du « ça a été » donne à cette oeuvre une dimension photographique au sens barthésien — négociation pour le regardeur entre le « studium », codé et le « punctum » — qui relie par la sensualité seule les éléments du commun à ce qui lui est propre.
Ni viscéral, ni cérébral, ce parcours aux frontières poreuses ne forme pas un tout, encore moins définitif. En témoigne le discret Roma, forme excroissante appliquée comme un corps étranger sur l’une des tapisseries. Elément organique en forme de coeur ou d’huître dont perlent quelques billes, mais à la fois tellement minimaliste, il fait face aux vitres teintées vers l’urbain. Le clin d’oeil d’un « work in process » en gestation d’un perpétuel et nouveau rapport au monde.
Marc Camille Chaimowicz
— Célébration ? Realife Revisited, 2008. Installation. Lumière, objets, musique. Collection Frac Bourgogne.
— Coiffeuse pour adolescent, 2008. Bois, miroir. Production Triple V, Dijon.
— Kiosque, 1994. Maquette à taille réelle en contreplaqué. 240 x 180 x 175 cm. Collection de l’artiste.
— Sans titre, 2008. Tapis et coussins sur socle asymétrique. Laine, tissu et bois. Production Frac Aquitaine.
— Papier peint, 2008. Papier peint. Ton rose : 8×5 m. Ton gris : 8 x 5 m.
— Pyramide, 2008. Bouteilles de vin blanc et rouge, étiquettes avec motifs réalisés par l’artiste.
— Sans titre, 2000-2008. Livres recouverts de papiers décoratifs insérés dans la documentation du Frac Aquitaine.