La galerie Anton Weller montre des installations de Pierre Giner dans une exposition intitulée «Some crashes». L’artiste travaille le monde de l’accident, du dérapage potentiel de situation, par la vidéo, le jeu vidéo, mais aussi par le texte.
Keep the Distance est une installation qui mêle le jeu vidéo et la vision cinématographique. Le spectateur prend place sur un siège. Il peut manipuler un volant et actionner des pédales qui transmettent l’orientation et la vitesse d’un véhicule représenté sur un grand écran situé à quelques mètres devant lui. Ce véhicule décrit un parcours dans un espace désertique, un espace fictionnel qui rappelle celui des jeux vidéo. Mais le tournage produit un effet panoramique et des changements de points de vue qui, eux, tendent davantage vers le cinéma. Pierre Giner s’explique dans un entretien : «A la différence d’un jeu de voiture classique, des mouvements de caméras — que l’utilisateur peut déclencher, ou qui interviennent de façon aléatoire — viennent rompre le déroulement linéaire de l’action. […] Un début de fiction peut alors se créer: de l’espace, du vent, une catastrophe, il se passe quelque chose et l’on peut commencer à y croire» (Le Journal des arts).
Le volant étant très sensible, une faible rotation peut entraîner un mouvement assez impressionnant du véhicule. «Keep the distance» n’est pas chose si facile, même dans une situation apparemment si simple, si évidente à priori. Cependant, le mouvement en question ne crée pas pour autant quelque chose de l’ordre du spectaculaire. La Peugeot 405 peut bouger beaucoup, peut cheminer longtemps, mais, dans ce décor un peu terne, le seul événement narratif susceptible de se produire est la chute dans le vide représentée par une grosse explosion, et ne se produit que si l’on souhaite « aller dans le décor ».
Pierre Giner considère le numérique comme un outil permettant de croiser les pratiques artistiques. Il ne vise pas une interactivité telle qu’elle est souvent mise en avant à propos de dispositifs faisant intervenir lesdites «nouvelles technologies». Il entend au contraire la travailler dans un registre minimal.
Une œuvre peut ainsi prendre la forme d’un texte écrit sur un mur. Voici un exemple de Misc-stories : «L’automobiliste qui roulait/ sur l’autoroute/ à contre sens/ alors qu’il répondait/ par téléphone aux questions/ d’un jeu radiophonique/ est décédé au moment/ où il allait remporter/ le gros lot». Quelques lignes faisant référence à un fait divers et jouant sur la fiction. C’est le mélange de ces deux sphères que l’artiste veut questionner. L’art n’est-il pas du fictionnel, et non de la fiction ?
Autre mise en scène de l’écriture, l’installation intitulée Ne me regarde pas comme ça (dispositif vidéo avec lunettes). Installé dans un fauteuil, les lunettes sur les yeux, le spectateur voit défiler des phrases ou bribes de phrases, plan par plan, de quelques secondes chacun. «Oh, ce regard ! Qui t’a permis de me juger ?/ Que sais-tu/ de mes sentiments pour toi ?/ Et si je désire/ n’être à personne ?» Un dispositif de vision qui met en représentation un discours sur le regard. Des lunettes pour voir ce qu’on dit.
— Boum, 2002. Papier au mur, tirage numérique.
— Keep the Distance #01, 2002. Jeu vidéo, DVD.
— Keep the distance. Cinématique, 2002. Vidéo DVD.
— Misc-stories, 2002. Textes, sérigraphie encre iridescente.
— Ne me regarde pas comme ça, 2002. Dispositif vidéo.
— Rocky VI. Quel espoir avez-vous abandonné ? , 2002. Vidéo DVD.
— Tout va bien, 2002. Vidéo DVD.