ART | EXPO

Solitario

22 Oct - 05 Déc 2009
Vernissage le 22 Oct 2009

Le «Solitario» de Delphine Coindet est un hommage aux artistes italiens Pino Pascali et Mario Merz qui savaient faire se rejoindre des qualités intemporelles, tactiles à la dynamique contemporaine dans ses aspects les plus quotidiens.

Delphine Coindet
Solitario

«Solitario». Le titre de cette nouvelle exposition de Delphine Coindet à la Galerie Laurent Godin peut surprendre, avec sa consonance italienne et masculine, son évocation de la solitude. C’est en fait un hommage, plus par l’esprit que par la lettre, à l’artiste italien Pino Pascali. Peu de temps avant sa mort, en 1968, ce dernier avait fait une grande sculpture, tenant du divan et du château de cartes, nommée Solitario et construite par grands plans en équilibre dans une matière inattendue appelant le toucher, une fausse fourrure bleu sombre.

En 1968 encore, Mario Merz lit sur les murs de Paris cette «Solitaire solidaire». Il la traduit en italien – solitario solidale -, et l’inscrit en lettres de néon sur un plat de cuisine rempli de cire. Le Solitario de Delphine Coindet fait ainsi écho à ces grands artistes italiens qui savaient faire se rejoindre des qualités intemporelles, tactiles à la dynamique contemporaine dans ses aspects les plus quotidiens.

«Solitaire solidaire»: n’est-ce pas en quelque sorte un portrait de l’artiste en général, à l’écoute du monde – du cosmos à notre vécu intime – engagé pour lui et solidaire de ceux qui le changent, mais toujours seul avec son oeuvre ? Solitaire, c’est aussi le nom que l’on donne au diamant de la plus belle eau, que l’on devine à travers le caillou brut, et que l’on isole pour mieux en faire admirer les feux.

Chez Delphine Coindet, la pierre précieuse prend une importance poétique spécifique, depuis l’une de ses premières pièces intitulée Diamants et qui présentait cinq «pierres» de contreplaqué, dont l’opacité rendait plus claire la taille (en navette, en princesse…) Si l’on songe que la «taille» est aussi la plus ancienne technique de la sculpture, le diamant devient une allégorie qui relie l’histoire ancestrale de l’art à notre présent. Sculpter, c’est travailler le matériau brut du réel, en découvrir la brillance qui sera montrée en solitaire. Et la sculpture aujourd’hui s’ouvre aux écrans qui nous renvoient en fragments des couleurs du monde. Par grands éclats elle aiguise notre regard sur les choses, sur l’univers: Solitario.

La sculpture aujourd’hui commence donc par l’écran, le logiciel d’images, lequel nécessite que l’on en repère chaque calque, chaque écran. Ecran 00 représente ainsi l’écran premier, le point de départ. Or, loin d’être un monochrome, une page blanche, cet Ecran 00 se présente là encore comme une diffraction, une perception du monde et de soi (car on y saisit un regard, des bribes d’images) en coups d’oeil obliques et fragmentés dans un rythme de miroitements et de cisaillements.

C’est le matériau premier à travers lequel l’artiste prend une «photographie» du monde. Techniquement parlant, c’est à partir de magazines de mode et de luxe que Delphine Coindet a opéré découpes et recollages : une déconstruction en grisaille qui nous renvoie la vision que ces magazines, que la société, veulent nous donner comme modèle et qui brise, qui enchaîne l’image des hommes, l’image de la femme.

Si le rôle de l’artiste est de nous montrer ce que nous faisons de nous-mêmes: des sujets morcelés, angoissés et enchaînés à notre image, grisés alors que nous devrions faire briller nos feux les plus précieux, son rôle est aussi de nous donner une perception plus vaste, de relier notre sentiment intime et individuel à une vision d’ensemble.

L’imposante sculpture Cosmos, dans la façon dont elle s’empare de l’espace de la galerie, avec sa construction de bois de charpente, ses avirons et ses boules de bowling colorés, nous transporte dans un dépassement de notre étroitesse terrestre, dans un jeu où le trivial rejoint les sphères célestes.

Toutefois, l’une des caractéristiques de l’art de Delphine Coindet étant de ne pas manquer d’humour, le spectateur ne perdra pas pied dans cet univers poétique où les équilibres à la Calder le disputent aux boîtes de Cornell, cet artiste qui savait mettre à portée intime les planètes, le passé et le présent. Certes le propos est grave. Les données contradictoires de la sculpture soulignent la dialectique du danger dans laquelle nous sommes tous engagés. D’un côté, la structure de bois de charpente, son ordre quasi cubique, connotent la protection de nos logis ; les rames colorées ou de bois usé, les boules rutilantes ou chamarrées en appellent à un toucher rassurant, à un tentant divertissement.

Mais la construction, ouverte à tout vent, ne montre que son incertitude à maintenir un équilibre, nous prépare à l’imminence des chutes, à l’aléatoire de cette physique que l’on sait désormais régie par les mathématiques du chaos. D’autre part l’oeuvre se fait métaphore de notre société, où chacun s’enferme dans sa sphère et où les chocs physiques et affectifs se distribuent par effets. De part ou d’autre, il est difficile de ne pas penser à la façon dont nous malmenons nous-mêmes et notre planète jusqu’au point où la rupture est imminente. Et pour trouver protection dans cette vision de l’univers, il ne nous reste qu’à ramer… Co(s)mique !

Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Arlène Berceliot Courtin sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.

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