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Solides, Lisboa

N’étant pas née de la dernière pluie (elle a travaillé avec Bob Wilson, Carlotta Ikeda, Pierre Droulers, on en passe et des moins bons), la chorégraphe Éléonore Didier s’est fait remarquer par des soli produits au Centre culturel de Belem, avant d’obtenir des résidences au CNDC d’Angers, au Point Éphémère et à Mains d’oeuvres.

Le thème de Solides, Lisboa traite, paraît-il, de l’effondrement, pas de celui du spectateur, mais bel et bien de celui de la danseuse, en proie à ses doutes, affres de la création, parcours du combattant, angoisses, épouvantements, afflictions, appréhensions, contrariétés, désespoirs de cause, tourments, terreurs et autres soucis, comme on dit de nos jours. Doit-elle pour autant, l’artiste, se sentir obligée de passer à l’acte de la mise à nu, jouer les effeuilleuses du Crazy ou les stars du burlesque, comme la première mariée venue ? Mystère et boule de gomme.

Et est-ce alors par bravade ? Par provocation, exhibitionnisme ou, tout simplement, par goût naturiste de la pose académique, vous savez ? Celle des modèles des cours de dessin aux beaux-arts, des vieux célibataires que sont tous les photographes en chambre ? La lune vue de la terre, façon Plastic Bertrand, ou à un mètre, comme chez Méliès, à dix mètres, façon illustrateur humoristique pour journaux 1900…

Solides, Lisboa
donne l’impression d’être un solo. Du moins, si l’on tient pour négligeable la figuration d’un comparse, Vincent Thomasset, en l’occurrence, inactif, immobile, plus inexpressif qu’un horse guard, tournant le dos au public durant quasiment toute la deuxième partie de la représentation, vêtu sobrement  d’un 501, d’une chemise blanche à petit col classique, chaussant des souliers noirs d’un bon faiseur (pas de Berluti qui, si l’on en croit Julien Dray et Roland Dumas, ne coûtent finalement pas si cher que cela, comparés à n’importe quelle œuvre d’art contemporain, n’importe quel objet de design, n’importe quelle montre plaquée or) et de lunettes en écaille façon Giscard, YSL ou Clark Kent.

La bande audio bruitiste, post-futuriste, rappelle le collage sonore de Walter Ruttmann, Wochenende, qu’on a eu l’occasion d’entendre il y n’y a pas très longtemps au Centre Pompidou. Elle est essentiellement composée des sons de la ville, ceux de Lisbonne. Il ne s’agit pas vraiment d’une symphonie urbaine, mais d’un bout à bout d’ambiances, dans lequel on notera bien évidemment l’agitation de la capitale lusitanienne, le tintamarre incessant et énervant du trafic automobile, ainsi que le bringuebalement des vieux trams en bois aux vitres descellées, mixés aux avertissements à coup de sonneries beaucoup plus mélodieuses.

La danseuse passe ostensiblement de l’ombre (la salle) à la lumière (la scène) où elle est aussitôt surexposée. Elle en appelle à la « réflexion et à la méditation du spectateur ». Du coup, elle ne cherche pas vraiment à produire un mouvement virtuose, une prouesse, du magistral, du prodigieux, de l’exploit, du haut fait, un morceau de bravoure mais invite le spectateur — cela ne mange pas de pain — à faire « l’expérience du regard ». C’est, après tout, au cochon de payant de se débrouiller, de faire avec ce qu’il a, s’il veut y trouver son compte. On n’est ici ni dans le potlatch ni dans le partage, encore moins dans le commerce équitable.

C’est donc au public de remplir les trous, les cases manquantes, de combler les vides. Et les temps morts. De chercher l’erreur. On lui vend du vent pour du temps. Ou pour de l’argent comptant.

La danseuse est tantôt un petit animal domestique, à quatre pattes et à l’arrêt. On la sent se lassant, et même se gelant. Comme les faux mouvements, le reste d’un geste. Elle arpente l’espace et, prise de tremblante, ressemble au plus doux des agneaux. Le silence se fait. Elle, Éléonore, se retourne telle la femme de Lot, la fiancée d’Orphée, avant de se changer en statue de sel. Statue, profil, idéal de beauté gréco-romains.

Elle, Éléonore, elle est à l’ouest. Elle virevolte, sur les genoux. Fait un tour de manège ou du pâté de maisons. Reprend son souffle. Fixe quelque chose ou quelqu’un au loin, hors champ, hors scène. Plusieurs prises de tête, peu de temps après, la danseuse fait l’enfant, nue comme un vers. Elle, Éléonore, prend la pose fœtale, inaugurale, finale. Une fois debout, elle, Éléonore, se révèle grande fille. Mais, tout de même, un peu attardée. Du genre à mettre ses coudes sur la table. Ou à faire le poirier sur sa chaise. Après moultes fausses sorties, elle, Éléonore, finit par s’échapper, à reculons.
 

— Chorégraphe, interprète, lumières et costumes : Éléonore Didier
— Son : Nanu, Mola Dudle

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