Noël Dolla
Soleil voilé
«Peindre dans l’esprit de l’Abstraction, c’est combattre l’ignorance, en refusant : les termes vagues et incertains, le flou artistique, l’amnésie et la confusion ce qui favorise toujours les retours passéistes et les attitudes réactionnaires». (Noël Dolla, 1977).
L’exposition de Noël Dolla se compose de deux versions, plus exactement deux volets. Deux accrochages de sa nouvelle série de peinture, mais c’est également l’occasion, dans la deuxième version, de montrer sous une forme «fixe» et non éphémère son exposition itinérante «Offshore» faite de peintures, de photographies en pile «consultables sur place» et de la retranscription en vidéo de la performance Offshore avec le déjà célèbre Coco Bel oeil.
Malgré ou grâce à la présence de photos et de vidéo dans les deux volets, les expositions «Soleil voilé» sont assurément des expositions de peinture.
La série de peintures «Fait à la 2, 4, 6, 8,» a son origine dans la série des premières «Girafes» peintes dans l’atelier de Robert Flexner à NY durant le printemps de 1996.
Entre 1997 et 2003, Noël Dolla a laissé en jachère les formidables problèmes que cette série de peintures lui posait. C’est à la demande de Christian Bernard, pour sa rétrospective au MAMCO à Genève durant l’hiver 2002/2003, exposition au titre prémonitoire de «Non», qu’il a exposé pour la première fois une oeuvre de cette série. Il doit à la mise en scène de cette exposition, magistralement conçue par C.Bernard, d’avoir vu avec un oeil nouveau combien ces peintures étaient porteuses de possibilités quasiment infinies à partir d’un acte minimaliste simple et radical. Geste qui consiste à poser un masquage en deux morceaux pour former des entonnoirs à peinture qui seront saturés de couleurs, en chantant à tue-tête: «Antonin entonna l’entonnoir à fumée».
Chaque forme née de ce geste premier appliqué sur la toile de coton vierge, induit le suivant, ainsi que le devenir poétique de ces peintures. Ici pas de compromis, pas de retour en arrière, pas de filandreux, juste la possibilité d’aller de l’avant, sachant que chaque geste, chaque couleur surdétermine le devenir de cette partie d’échec. Noël Dolla sait dès le premier geste qu’il n’y aura pas forcément un gagnant mais que le peintre ne doit jamais être mis mat par lui-même.
Il est seulement question ici et maintenant de jouer une superbe partie qui n’a pas plus de raison de cesser qu’elle n’avait de raison de commencer.
Il s’agit ici de peindre en ayant en regard la mémoire de Paolo Ucello comme source de la perspective chromatique. Du Titien pour la déconstruction du tableau. De Matisse et la question du Bonheur . De Cézanne et les «Montagnes Sainte Victoire» comme base de réflexion pour le geste suspendu. De Barnett Newman et les limites d’un simple zip, pour atteindre le sublime. De la conscience d’Ad Reinhardt et de sa sombre poésie du noir qui potentialise la question du blanc depuis Malevitch jusqu’à Rayman («Le peintre en bâtiments est-il le roi du monochrome»?). Il est ici tout simplement question d’emmerder la belle peinture en pensant comme Marcel Duchamp, Gérard Gasiorowski ou Philippe Mayaux. Peindre est un acte de résistance pour celui qui refuse l’amnésie, la fin de l’histoire, la mort de l’art. La pratique de la peinture de Noël Dolla est celle d’un artiste qui croit toujours que la vie a un sens. C’est la peinture de celui qui affirme que l’histoire s’écrit chaque jour dans la cuisine du poète, dans la chambre de l’écrivain, dans l’atelier du peintre, dans le laboratoire du chercheur, mais aussi à l’usine, à l’école ou au bureau.
Noël Dolla dévoilera aussi des oeuvres sur papier, des sortes de haïku peints, des respirations composées de trois à cinq formes couchées dans un souffle et d’un geste ferme sur une épaisse feuille de vélin vierge. Des oeuvres légères comme un voile de tarlatane sur un tableau d’école. Ces aquarelles soulignent la question du vide, du blanc et du moment fatal de l’arrêt. Quand la main doit-elle cesser de prendre contact avec le support? Peindre à l’aquarelle (comme Cézanne) est un bel exercice pour essayer d’apprendre à ralentir puis à cesser de jouer.
Cette exposition entièrement peinte de la main gauche de l’artiste (dit-il en riant) marque le refus absolu de la production à flux tendu. Chacune de ces oeuvres doit être aussi unique que chaque être vivant sur cette terre. C’est en cela que l’oeuvre d’art mérite d’être sanctifiée.
Noël Dolla dit «Non à la reproduction mécanique, Non à la multiplication des Petits peints. Non au profit immédiat, Non à la sur-productivité, Merde au PIB. Il faut avoir la volonté de peindre pour que demain une jeune fille, un petit garçon, un vieil homme puissent encore s’émerveiller devant une oeuvre d’art vieille de plusieurs dizaines ou centaines d’années».
«Mort aux clowns de l’art, à mort les rois du clonage, les chantres de la productivité. L’art doit être pensé et réalisé totalement à l’inverse du courant postmoderne, pur produit du capitalisme mondialiste pour l’instant encore triomphant. Ils étranglent l’animal puis ils le plaignent en disant, le pauvre il n’arrive plus à respirer. Aujourd’hui Fidel Castro, quelques autres et moi nous passons pour des ringards mais nous savons bien nous que nous avons raison».
Noël Dolla, La parole dite par un oeil, Ed L’Harmattan, Paris, 1995.
Une fois encore Noël Dolla nous dit: «ce que vous voyez n’est peut-être pas ce que vous croyez».