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Solaire

Dans la continuité de ses précédents travaux, Fabrice Lambert a imaginé un dispositif plastique capable d’expliciter en même temps qu’il l’exacerbe un presque unique enjeu chorégraphique, le tout dans une économie de moyens toujours aussi appréciable.
Pour Solaire il s’agira d’explorer le flux, qui constitue une notion délicate à saisir: qualité d’énergie, matière du mouvement, le flux est un concept pluriel, comme la lumière est de nature double, ondulatoire et corpusculaire. Pour mettre en œuvre ce projet, il a justement fait appel à l’éclairagiste Philippe Gladieux et composé, avec lui, un environnement qui entre en relation avec les danseurs.

La pièce débute dans l’obscurité qui semble totale jusqu’à ce qu’une ombre plus noire encore décrive des déplacements, circule dans l’espace du cube scénique. Entité spectrale qui se joue dans la profondeur, rendant matériel l’espace aérien et haptique le phénomène visuel: cela évoque la matière fuligineuse et veloutée d’une esquisse à la pierre noire, cela ouvre le regard sur une envie de corps.
Et c’est là qu’ils apparaissent, en courant, pour s’immobiliser en pleine lumière, les cinq interprètes aux corps volontairement hétérogènes, formant un groupe immédiatement soudé par le jeu mis en scène: 1, 2, 3… soleil!

Jeu de cache-cache et de mouvements intermittents, la référence enfantine permet au-delà de l’anecdote d’ordonner les gestes, de leur offrir un rythme, de compresser puis relâcher le flux. Et cette manière de scander, de suspendre la tension ou au contraire le lâcher prise, va animer l’ensemble de la pièce d’un ressac très naturel.
La chorégraphie oscille donc entre mouvements de groupes — pas forcément à l’unisson, mais effectués avec une cohésion entre les interprètes presque tangible —, soli ou se déploient les énergies individuelles mais à partir de cellules chorégraphiques déterminées, et placements presque statiques dans l’espace offrant à la lumière les points d’appuis à partir desquels développer son propre jeu.

On pourrait la qualifier d’organique tant elle crée une matière, se révélant consistante, pulsative, frappant les surfaces comme si il s’agissait de membranes à animer. Lorsque les interprètes se regroupent sous un rayon de lumière, pour y dorer leurs peaux, paupières closes, on perçoit aussi la sensualité de l’échange, son aspect le plus sentimental et mémoriel, le flux de nôtre pensée nous ramenant à ces sensations de douce chaleur… souvenirs communs à tous les hommes d’une caresse solaire.

Il apparaît intéressant de relever que pour leur première collaboration — qui engageait également l’interprète Ivan Mathis — Fabrice Lambert et Philippe Gladieux avaient justement travaillé à partir d’une peau. Dans Im-posture (2004) l’éclairagiste joignait bord à bord deux morceaux d’épiderme qu’il couturait pendant le spectacle tandis qu’un retour camera projetait l’image en scène.
On pourrait voir dans Solaire un même processus mais superbement allégé: l’hybridation de deux corps, lumineux et charnel, la peau des interprètes s’offrant comme lieu de suture.
Et c’est dans le travail des bras que l’on perçoit le mieux cette rencontre.
Tels des rayons émanant du torse ou de la tête, ils dessinent dans l’espace lignes et volumes, offrant à travers leur modelé les traces sculpturales du passage des mouvements, comme après celui d’une vague sur le sable humide, formant rides et volumes réguliers, fluides.
Et puis les mains surtout, à la fois larges, puissantes et détendues, traversées par l’énergie et la force sans prise de tension. Elles laissent s’échapper et revenir le flux de la danse, le guide en douceur à travers et au delà du corps, dessinant dans l’espace une magnifique présence.

Infiniment contemplative, Solaire compose un support à toutes sortes de rêveries, permet justement au spectateur de se laisser emporter par cette matière-énergie au gré des formes, des ressentis.

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