Entre figures de passants, narrations autour du mouvement, symboles urbains, les Å“uvres présentées dans l’exposition «Soit dit en passant» traitent de l’errance des promeneurs contemporains. Dans l’effervescence d’une foule de plus en plus manifeste et d’une hyper-stimulation des désirs, a-t-on encore le temps d’échanger, d’envisager des alternatives, et d’accéder à une poétique de la pureté?
Au sein de l’unique salle du Frac, les Å“uvres visent à éclairer les illusions postmodernes, les effets troubles et voyeuristes d’une société globalisée où l’être humain tend à disparaître au profit de la matière, happé par l’immédiateté, dépourvu de conscience historique.
Plusieurs Å“uvres déclinent la figure du voyeur. La peinture hyperréaliste Couple de touristes (2009) de Jérôme Romain représente une femme, le bras tendu et l’index fixé vers un hors-champ que son compagnon observe. Aucun décor, l’accent est délibérément mis sur les attitudes, les tenues et ce minuscule sac photographique qui pend au cou de l’homme, nouvel emblème de ceux qui mitraillent sans cesse.
Posés au sol, tels dix pavés, les clichés en couleur, au format affiche, de la série «Déposition» (1997) de Jean-Luc Moulène, déclinent des situations contemporaines: un homme qui pisse en pleine rue, de jour; les jambes nues d’une femme en mini-short; des bouteilles de jus de fruit; un personnage féminin devant le buste d’une déesse égyptienne dans un musée, etc.
Ces menus spectacles quotidiens, renforcés par des compositions proches des images volées des paparazzi, se distribuent sur le sol comme de pâles reflets d’hommes et de femmes ordinaires saisis dans leur banalité.
L’ironie devant ces spectacles quotidiens s’exprime dans la vidéo Cars, Cars (1985) de Jozef Robakowski, qui, du haut d’un immeuble, filme par temps de pluie le ballet des voitures qui circulent sur un boulevard d’une ville polonaise. Les images s’accompagnent des commentaires de l’artiste que l’on imagine en haut de sa tour en train de s’égosiller devant ce spectacle.
L’ensemble «Urumqui» (2006) de huit enseignes lumineuses de Hsia-Feï Chang suspendues aux murs de la salle souligne et dénonce la surenchère du clinquant, du kitsch, du «bling-bling», et de la marchandisation frénétique dans les mégalopoles contemporaines: de l’«ice-cream» qui clignote, au nom de Marcel Proust, en passant par l’icône d’une pilule ou des sigles chinois.
Dans la vidéo Icetrain (1998) de Daniel Pflumm, l’hédonisme fait fureur, la foule est submergée par la publicité, fascinée par les sons qui saturent la ville. Projetée sur un mur, cette vidéo mêle phares de voitures, vues de trains filmés de jour comme de nuit, publicités télé pour des produits alimentaires anonymes, etc., le tout scandé par de la musique techno. Les points lumineux presque abstraits, les traits de couleur oscillant au tempo de la musique, et les vues industrielles expriment ce chaos.
L’exposition n’a de cesse de créer des déplacements visuels entre les oeuvres et le visiteur.
Aux personnages de Jérôme Romain, répondent les deux ombres, contenues dans la toile de Sigurdur Arni Sigurdsson (2004). A la limite de la dissolution dans le fond jaune paille, elles semblent symboliser la fragilité de la condition humaine, sans cesse menacée par sa proche disparition.
Cette tension entre présence et absence se donne aussi à voir dans les deux lithographies de la série «Le peintre et le modèle» (1972) de Gérard Fromanger. Sur l’une d’elles, à dominante bleu saphir, le peintre, représenté telle une ombre chinoise, observe deux femmes qui bavardent derrière une vitrine. Il est cette ombre qui passe au-dehors, celle qui filtre et retranscrit les narrations urbaines et leurs forces inconscientes.
Le visiteur est aussi conduit à trouver ses points de passages à travers les Å“uvres. Il tourne autour de la porte blanche en plâtre et résine, en forme de U renversé, de Tjeerd Alkema (Porte, 1994), hésitant à passer sous cette sculpture minimale, aux branches qui apparaissent comme tordues. Ce n’est que depuis un point de vue bien précis que cette porte se redresse, par un procédé d’anamorphose.
Quant à Audrey Martin, elle a construit un mur couvert de magnésie (matière qui s’effrite quand on la touche), et elle projette sur une brique, située dans le coin inférieur droit, un film telle une carte postale animée. Il s’agit de suivre une déambulation à Kyoto sous les portiques orangés d’un temple bouddhiste, d’où l’on ne retient que les traces du souvenir et le retour à une pureté, comme le suggère le titre poétique de l’installation: Iki, ou esthétique de la sobriété. Montée en boucle, mise en abyme d’une marche épuisante et solitaire, cette vidéo n’apparaît qu’au moment où le visiteur contourne le mur.
Enfin, la vidéo en noir et blanc 10-second couples, de Cristian Alexa, met en scène sur fond d’acid-jazz une femme de dos, veste au vent dans une rue de New York, qui prend la main des passants pendant dix secondes. Contacts fugaces, éphémères mais ouverture à de nouveaux dialogues.
«Soit dit en passant», du tumulte à la solitude, de la jouissance au plaisir, quand l’individu cherche sa route, ces mots aux lèvres: «Il est irritant de penser qu’on aimerait être ailleurs. Mais nous sommes ici et maintenant» (John Cage).
— Cristian Alexa, 10-second couples, 2000. Vidéo, 6’38’’
— Tjeerd Akelma, Porte, 1994. Plâtre et résine.
— Hsia-Feï Chang, Urumqui, 2006. Ensemble de huit enseignes lumineuses.
— Jean-Luc Moulène, série «Déposition», 1997. Uffset. 60 x 42 cm.
— Daniel Pflumm, Icetrain. Vidéo, 8’.
— Josef Robakowski, Cars Cars, 1985. Vidéo, 3’.
— Sigurdur Arni Sigurdsson, Sans titre, 2004. Huile sur toile. 200 x 220 cm.
— Pierre Bismuth, Alternance d’éclaircies et de passages nuageux l’après-midi, 1999. Vidéo, 39’59’’.
— Gérard Fromanger, Bleu Saphir, Rouge de Chine vermillonné, série «Le Peintre et le modèle», 1972. Lithographie. 60 x 80 cm.
— Jérôme Romain, Couple de touristes, 2009. Huile sur toile. 120 x 71 cm.
— Audrey Martin, Iki, 2010. Installation vidéo, technique mixte. 200 x 300 x 20 cm.