Le spectacle débute par la chanteuse Esperanza Fernández. La voix est claire, forte, haute, oscillant entre une profondeur vocale et un accent tonique presque léger. Elle est accompagnée par la guitare, d’une pureté sonore, de Miguel Angel Cortes et par les cajons de Jorge Emilio Pérez et José Manuel Fernández. Le guitariste déploie une technique et une dextérité musicale de haute qualité. Abandonnant parfois leurs cajons, les palmas effectuées par les percussionnistes sont omniprésents et donnent un rythme traditionnel aux chants. Ainsi, à certains moments, il n’y a sur scène que la voix d’Esperanza Fernández, la guitare de Cortes et les palmas de Jorge Emilio Pérez et José Manuel Fernández, comme sorties tout droit de chants au coin du feu laissant ensuite Esperanza Fernández finir son tour de chant a capella.
Puis un bruit de mécanisme d’horloge se fait entendre pour laisser apparaître Isabel Bayón. Elle est accompagnée par deux cajons, deux guitares et deux chanteurs.
Isabel Bayón utilise le tronc et ses membres supérieurs pour orienter toute sa chorégraphie dans une direction qui ampute quelque peu le Flamenco de ses assisses premières, à savoir les taconeons. Les taconeons sont assez «rares» mais très marqués, soutenus par les cajons faisant des percussions le compagnon rythmique des taconeons. Les percussions n’impriment pas seulement un rythme, elles sont une caisse de résonance de ceux-ci.
Les chants de Miguel Ángel Soto et Miguel Ortega accompagnant Isabelle Bayón sont portés par des voix profondes et caverneuses. La danse est dans la plus pure tradition flamenca. Les mouvements des bras sont légèrement ondulés et balaient un demi-cercle au dessus de la taille de la danseuse. Le port de la danseuse est altier et son regard souvent jeté au loin.
Le Flamenco devient fluide dans sa gestuelle et sonore par sa musique. La sonorité est aussi marquée par les taconeons dont la technicité et la vitesse ne sont pas les premiers atouts. Les taconeons sont surtout marqués par leur rythme sonore et habillés par les cajons. Presque comme dans un duo, les percussions et les taconeons font corps. Ces derniers sont appréhendés comme pour être le fond sonore de la gestuelle de la danseuse. A l’image de ceux-ci, les gestes sont sobres, discrets mais omniprésents.
Nous sommes dans une dichotomie tronc-bras versus taconeons-cajons. Tout ce qui touche le sol, comme les percussions et les taconeons, donne du rythme aux mouvements silencieux du corps. Cela engendre une complétude entre le silence du geste et le «bruit » du corps contre la matière. Les mains tapant sur le cajon donnent la répartie aux membres corporels dans l’espace. Le Flamenco, danse du sol et de la terre, devient aussi danse aérienne par sa gestuelle.
Les palmas des musiciens de cajon sont très présentes et font un très beau mariage avec les taconeons. Ce que propose Isabel Bayón est à cheval entre la tradition, dans ses mouvements et sa gestuelle, et la «modernité», avec le cajon et un rapport taconeon-cajon très lié. Tout est double autant dans le nombre pair des musiciens, dans le rapport du corps avec le sol et l’espace que dans l’approche tradition-modernité de la chorégraphie. Les taconeons sont en relation jumelle avec la musique, comme s’ils étaient indissolublement liés. L’un n’est pas sans l’autre. Ils s’accompagnent dans un même rythme. La technicité des gestes et la vitesse ont été boutées du spectacle. Nous sommes dans une relation à l’espace faite de temporisation, d’un rapport au Temps presque amoureux où aucune précipitation n’est faite.
La thématique gestuelle est composée de mouvements latéraux et longitudinaux des bras qui portent le tronc de la danseuse dans une attitude autant gracieuse que fière. Un film laisse voir une jeune fille qui danse dans la même attitude et la même gestuelle qu’Isabel Bayón. Ce film semble être une projection de la danseuse dans sa prime jeunesse où il lui était enseigné le Flamenco. Cela vient en écho de la première partie du spectacle avec Esperanza Fernández et son interprétation des chants du passé.
Isabel Bayón devient ainsi la gardienne des traditions d’un Flamenco où le rythme et le compas sont autant portés par les taconeons, les cajons que par la gestuelle de la danseuse.
Compagnie Isabel Bayón, Caprichos del Tiempo, 2014
Compagnie Esperanza Fernández, Raíces del Alma, 2010
Danse-Chant-Musique, 1h30