La chorégraphe, outre son engagement sans faille pour une danse exigeante, nous a habitué à des collaborations avec des artistes aussi différents que le chanteur Philippe Katerine, le jazzman Louis Sclavis, la performeuse et chorégraphe La Ribot. Elle réitère ses incursions dans le domaine de la pop et s’associe pour ce projet avec le peintre Dominique Figarella, connu pour son travail à la fois savant et ludique.
Soapéra pourrait être un clin d’œil à la culture populaire et au genre mineur des séries télévisées du monde anglo-saxon. Ce titre fait surtout référence à la matière qui est travaillée sur le plateau. Avant le coup d’envoi du spectacle, une énorme quantité de mousse de savon est déversée sur scène dans un jaillissement surprenant et jouissif à la fois.
Ce sont les prémisses d’une pièce très visuelle. Mais la spécificité du travail de Dominique Figarella est de s’intéresser pour ses toiles et grands formats à des matériaux des plus hétéroclites. Ainsi, dans Soapéra, il y va tout autant des textures, des volumes et transparences, d’une certaine élasticité et mémoire de la matière qui finit par se dissoudre, la consistance de l’entité mousseuse se délitant progressivement.
La géniale intuition de cette création est donc de mettre la danse en prise directe avec la matière. Elle la travaille de l’intérieur, les danseurs sont immergés dans le volume et incorporent, métabolisent les rythmes de ses «processus matériologiques». La mousse leur colle aux cheveux, entre dans leurs yeux, pique leurs narines. Les quatre interprètes en font bouger des pans entiers, sont à l’origine de phénomènes de surgissements et d’apparitions par transparence, parfois d’entailles qui ont du mal à se ressouder. Ils agissent en symptômes de cette masse pétillante et compacte.
On aurait aimé que Mathilde Monnier s’attarde davantage dans l’imaginaire de cette première partie, qu’elle approfondisse les qualités assimilées lors de cette exploration de la matière.
L’autre moitié de la pièce transpose la façon de travailler du peintre aux dimensions mêmes du plateau. Les danseurs s’affairent autour d’une toile, à la fois images et forces agissantes créatrices de ces images. Ils incarnent la démarche qui meut la peinture résolument abstraite de Figarella dans un énorme essai de figuration de l’acte même de peindre. Du point de vue conceptuel, on comprend le but de l’exercice, le défi de cette transposition. Le résultat est joli, mais pas enthousiasmant. Les corps des danseurs sont irrémédiablement figuratifs. À moins qu’ils ne soient complètement déformés, engloutis par la matière, ils renvoient simplement aux postures et poses de la peinture figurative, alors que le chewing-gum ou la bande de sparadrap sont utilisés par Dominique Figarella en tant que matières, textures, odeurs, volumes et, de ce fait, parachèvent des oeuvres surprenantes, intrigantes, acidulées et joyeuses: pop!
Il y a pourtant de purs moments de jouissance: des nuages de mousse envahissent la salle, se répandent littéralement dans les gradins. Les spectateurs se les passent comme des ballons, expérimentent leur texture. Un couple déambule sur scène entouré par de joyeux flocons de savon…
C’est de la mousse et c’est léger, ça touche à peine le sol. Il en va de même de la proposition de Mathilde Monnier, qui en reste au simple plaisir du regard et à la figuration.
— Conception: Mathilde Monnier et Dominique Figarella
— Chorégraphie: Mathilde Monnier
— Art visuel: Dominique Figarella
— Collaboration scénique: Annie Tolleter
— Son: Olivier Renouf
— Lumière: Éric Wurtz
— Avec: Yoann Demichelis, Julien Gallée-ferré, Thiago Granato, I-fang Lin