Camille Fischer
Snake Dance
La danse et l’état d’ivresse, l’accession à une dimension transcendantale, sont les sources d’inspiration que Camille Fischer appréhende dans un style glamour punk et dont la saveur, l’apparence, sont liées aux courants les plus fantastiques de l’histoire de l’art et de la littérature occidentale.
«Snake Dance» donne son titre à cette exposition. Cette œuvre s’inspire d’un rituel orgiaque décrit par Euripides dans les Bacchantes. Des femmes vivant dans les bois et vouant un culte extatique à Dionysos, dansaient avec des serpents pour le célébrer. Cet épisode de la mythologie fut récupéré par les poètes romantiques et par la scénographie de la musique punk, goth des années 80. L’artiste explore nouvellement ces «rituels» dans le contexte d’une nouvelle décadence contemporaine.
Plusieurs cultures picturales se conjuguent dans l’œuvre de Camille Fischer. Un univers de symboles se dévoile où la figure prédominante du serpent est entendue comme l’esprit du mal et de la tentation, mais également comme un symbole de la puissance infinie des femmes, ce qui n’est pas sans rappeler les buveuses d’absinthe de l’Art Nouveau, ou encore ces femmes, mystérieuses et fatales, qui animent le mouvement symboliste jusqu’à la recherche de la synesthésie et de l’univers des sensations chers au romantisme de Schlegel et de Novalis.
Les cariatides ou les nymphes, les éléments naturels, les plantes et les arbres, ainsi que d’autres formes végétales ou organiques forment des entrelacs baroques permettant à l’artiste de revisiter parallèlement les apports stylistiques du street art et du graffiti. Les scènes de genre et les paysages fournissent quant à eux le cadre idéal où peut s’épanouir l’état d’exaltation que les performances de l’artiste proposeront d’atteindre et d’entrevoir. Les vêtements, voiles irisés et imprimés des motifs dessinés par l’artiste, soulignent encore les ondulations serpentines du corps féminin au charme indomptable, au pouvoir de séduction potentiellement mortel, en souvenir, peut-être, de la célèbre danse exécutée par Salomé dans la Bible. Ces éléments et rappels créent une atmosphère à la fois obscure et hermétique, celle de rituels mystérieux et sensuels.
Il est alors possible de démêler ici l’une des questions les plus complexes de la création: celle de l’expression de la toute-puissance féminine à travers les âges, souvent restituée symboliquement à travers un corpus d’objets et une iconographie au caractère sacré. Camille Fischer explore ce sujet à travers ses performances. Celles qui sont rythmées par la musique du groupe anglo-saxon The Sisters of Mercy forment clairement un pied de nez à l’amertume de l’humanité, en rappelant les cultures underground qu’elle réactive simultanément. L’amertume dont il question à pour échos celle de l’absinthe, en référence à l’Etoile de l’Apocalypse de Jean, intégrée dans la performance Stratocaster, réalisée par cinq danseurs buvant des cocktails de fée verte sur un plage fictive. Avec une subtile désuétude, Camille Fisher livre comme une dernière tentative d’érotiser le mouvement du corps, de renforcer la fluidité des formes mobiles dans l’espace, un espace qui transporte le spectateur au-delà du quotidien et de toute les pensées qui en découlent, invitant l’esprit du regardeur à vagabonder au cÅ“ur de cet univers fantasmagorique.
Camille Fischer cultive un lien extrêmement fort entre le dessin et la performance, les tissus et les matériaux. A la fois fantastiques, sentimentales, philosophiques et psychologiques, ou poétiques et prosaïques, ses œuvres apparaissent comme les fragments et les ornements d’une chorégraphie dont elle préserve les reliquats. Ces fragments sont organisés avec la liberté et la fraîcheur caractéristiques de son travail qui renforce le principe de transversalité nécessaire à l’art d’aujourd’hui. Entre la peinture, le dessin, l’installation, la performance, la mode, la littérature et la philosophie, tous les aspects de la création entrent ainsi en résonance afin d’immerger le spectateur dans une dimension onirique et secrète.
Mara Ambrozic
Vernissage
Jeudi 5 février 2015