Hsia Fei Chang
Slow
Deux adolescents se regardent, l’hésitation transpire, les mains sont moites, les muscles tremblent, le souffle est saccadé. Les yeux dessinent sur le corps de l’autre l’envie de l’effleurer, le caresser, l’embrasser. Le désir cristallise un moment d’intensité si fort, si brûlant que chaque fragment de vérité qui se cache, enivre la chair de poésie. Tendre une main, la poser sur ses hanches, frôler sa poitrine, poser délicatement sa joue sur la sienne et le monde n’existe plus. Le slow a déjà commencé. Le temps est suspendu et la vapeur de son parfum nous enveloppe. Le cÅ“ur bat si vite que de ce premier émoi aucune sensation ne nous échappe.
Dans ce bain explosif de sensualité, le corps n’a jamais été aussi nu, chaud et vivant. Puis les sonorités s’adoucissent, le corps de l’autre se détache et les couleurs se refroidissent. Le slow est fini, l’autre est parti. L’effroi de la solitude répond silencieusement au souvenir encore fiévreux de mélancolie.
Hsia Fei Chang pourrait être conteuse. Ses histoires, souvent ordinaires, parfois superficielles, accompagnent des personnages naïfs, drôles et terriblement touchants. Ces voyages accidentés respirent d’anecdotes amoureuses, de déboires sexuels, de fantasmes chargés de rêves ou tachés de chagrin. De ces émotions, le cÅ“ur chavire et le monde n’en devient pas moins féroce, imprévisible et violent.
«Slow» est à envisager comme un conte dans lequel la candeur du désir offre des visages chimériques et monstrueux. Cette fresque aux tonalités tragiques est un chemin lent et souvent douloureux. Et l’amour se révèle une conquête à la saveur tendre et cruelle.
Face au Lever du soleil, on découvre Le Kawagebo, montagne sacrée et haut lieu de pèlerinage pour les Tibétains. Objet d’amour et de fascination, il incarne également le tombeau effrayant des nombreux morts qui se sont aventurés dans l’illusion d’approcher un soleil merveilleux.
Dans un autre pays, à lisière du bois près de l’autoroute, le soleil s’est désormais couché sur le cadavre d’une adolescente. Les autorités découvriront plus tard que le crime a été commis par sa meilleure amie. Elle écrira le jour du meurtre sur son compte twitter: «I miss you so so so much» puis après la découverte du corps: «worst day of my whole life». L’innocence des premières booms cèdent à la mise en scène d’un masque sans scrupule où l’obsession des réseaux sociaux convie à la fabrication collective d’un scénario aux larmes empoisonnées.
Avec le temps, tout s’oublie et le soleil livre d’autres promesses. Les Bubbles, néons réalisés à partir des dessins d’un enfant, montrent les couleurs de la plage, ses galets et l’horizon qui nous bercent sur un territoire empreint de nostalgie et de douceur. Au-delà de la mer, en marchant sur le lointain, il y a l’Hôtel Sahara. La vie y est délicieuse et suave, molle et ennuyeuse. Dans les vingt-quatre lettres écrites par Hsia Fei Chang, les confidences intimes décrivent le décor, beau et fastidieux, d’un paysage rose, chaud et exotique dans lequel l’absence de l’autre, celui qu’on aime, que l’on désire est plus forte que jamais.
Enfin, la rupture amoureuse caresse souvent la mort. Le détachement, long et corrosif, nous entraîne dans une quête clairsemée où le monde et son quotidien confessent de nouveaux éclats et s’expriment sous d’autres mots. Lovelorn eyes est un diaporama d’une heure et trente-huit minutes composé de photos et de six vidéos réalisées avec un téléphone portable pendant un an entre les mois d’octobre 2013 et 2014. Ce journal intime transmis sur Instagram marie la catharsis au besoin de partager, dialoguer et être à nouveau aimé.
A travers «Slow» nous explorons un livre et nous respirons ses pages. Puis au loin il y a ce chat qui marche sur le sable. Est-il blessé? Seul? Abandonné? Plus on le regarde, plus nous chassons ce mirage. Nous fermons les yeux, il est parti, il est ailleurs, il n’est plus là .
Hsia Fei Chang est née en 1973 à Taipei, Taïwan. Elle vit et travaille à Paris.