Gage de vérité, la photographie l’a souvent été: donner la preuve que cela a été. C’est ce passé composé que Françoise Quardon se plaît à pervertir et à recomposer dans ses clichés numériques. Car dans ses images, tout est faux. Mais un faux bien particulier, puisqu’il peut sembler vrai de prime abord.
Pourtant tout y est lisse et soigné: les tenues, les accessoires, les tatouages, les perruques… Devant nos yeux, s’étendent — ou plutôt gisent — des corps de femmes, si beaux qu’on en oublierait presque qu’ils sont donnés pour mort.
Un hématome, une coulure de sang — fort élégants au demeurant — font, de ses petites poupées, des cadavres bien propres sur eux. Comme dans un cluedo macabre, le lieu du crime est mis en scène. La série High Way to Hell repose sur un même schéma répété: des femmes, dans ou à l’extérieur d’une voiture, qui gisent dans des parures dignes de prostituées. Perruque blonde ou rouge, talons aiguilles et vernis à ongle, le maquillage du crime est parfait.
Il s’agit bien en effet de maquillage puisque c’est l’artiste elle-même qui se donne pour sujet de ces métamorphoses. Grimée, travestie, elle y prend les poses de charmantes mortes qu’elle peaufine sur ordinateur. Les clichés sont capturés sur fond bleu, neutre et vide, puis retouchés numériquement pour leur ajouter un décor, comme pour écrire une petite histoire sordide dévoilée par les premiers feux du jour.
Au premier coup d’oeil, on croirait des images de photo-reportage, comme les morts que Weegee prenait en photos et qui faisaient la « une » du journal du lendemain. Mais, plus l’oeil y regarde et plus la supercherie se révèle. Tout cela est trop beau pour être vrai. Avec un luxe de détails, l’artiste se plaît à nous prendre au piège de ces clichés trop séduisants. Ils semblent se rire de notre société du glamour où tout doit être maquillé, même les histoires sordides des prostituées qui finissent mortes sur le trottoir ou sur les bas-côtés d’une autoroute.
La petite histoire de Pute semble, quant à elle, plus ambiguë et plus riche à la fois. Une mariée abandonnée sur un banc public aux Buttes Chaumont, la robe retroussée, le bouquet s’échappant de sa main et le voile encore ceint autour de sa tête. L’ensemble repose sur l’ornement, l’apparence qui y est donné, dont on fait souvent l’empanache de la femme. Le plus beau jour de sa vie semble avoir fait son drame, abandonnée qu’elle est comme une vulgaire poupée de chiffon qu’on a oublié sur un banc public. Les corbeaux, amateurs de chairs putrides, se pressent déjà autour du cadavre, figurant peut-être le regard rapace du visiteur qui fouine l’image pour trouver le sens, la raison de ce drame intime.
Le plus intriguant dans ses photographies, c’est qu’elles semblent si réelles qu’on peine à croire qu’elles sont montées de toute pièce. Dans l’image que Françoise Quardon a confectionnée pour la carte «Louvre Jeunes» — elle avait par ailleurs participé à la manifestation Contrepoint de 2005 — , le montage se dévoile rapidement à nos yeux dans cet univers enchanté où la perruque verte fluo de l’artiste fait fortement contraste avec une forêt sombre peuplée de papillons et de serpents.
Par ces mises en scène soignées jusqu’au moindre détail, l’artiste interroge et nous interroge sur la femme et ses clichés: celle qui doit être femme jusqu’au bout des ongles et qui, jusque dans sa mort, doit être digne de figurer dans un petit cercueil pareil à un boudoir.
Françoise Quardon
— Highway to hell (1-verte), 2005. Tirage numérique, Edition 1/2. 90 x 135 cm.
— Highway to hell (2-rouge), 2005. Tirage numérique, Edition 1/2. 90 x 135 cm.
— Pute, 2007. Tirage numérique, Edition 1/2. 94 x 139.
— Miss Maggot Meat, 2007. Technique mixte. Pièce unique. Dimensions variables.
— Nursery’s crime, 2006. Technique mixte. 15 x 15 X 18 cm.
— Princess Bride, 2003. Faïence émaillée. 60 x 52 x 30 cm.