Avec plus d’une dizaine d’œuvres, l’exposition « Situation(s) » invite le spectateur à réfléchir aux questions d’identités et de genres dans l’espace public comme privé. «Au travers d’Å“uvres évolutives, performatives et collaboratives, c’est d’identité(s) et de représentation(s) de soi dont il est question», précise Frank Lamy, chargé de l’exposition. Ainsi, vidéos, photographies, installations composent un corpus de pièces protéiformes comme autant d’analyses, de constats et d’interprétations des rapports qu’entretient l’individu avec la société.
Dance (All Night, Paris) de Mélanie Manchot est une captation vidéo d’une performance. Danseurs professionnels, amateurs et spectateurs occupent la cour d’un lycée parisien transformée, le temps d’une soirée, en piste de danse. Côté à côte cohabitent différents styles: rock, flamenco, hip hop, valse, etc. Chacun des protagonistes, muni de casques, effectue sa propre chorégraphie. L’ensemble du dispositif apparaît alors comme un ballet silencieux. Seuls sont perceptibles le bruit des pas foulant le sol et des claquements de mains. Il s’agit ici d’observer ce qui se passe lorsque l’on danse en société: au bal, dans la rue, etc. La danse n’est pas un langage articulé, à la manière du langage verbal. Cependant, elle est un autre moyen d’expression de soi, d’expression intime de son corps mais aussi un moyen de représentation et de communication. Comment la danse fait-elle communiquer les corps? Avec Dance (All Night, Paris) l’artiste questionne les relations entre le corps (social) et l’espace (public). Comment ces deux instances peuvent-elles se lier? La pièce de Mélanie Manchot examine le hiatus qui peut exister entre l’individu et le groupe, le personnage privé et le personnage public. Dance (All Night, Paris) s’envisage comme une métaphore des permanentes interactions et négociations entre ces notions.
La vidéo intitulée The Ants Struggle on the Snow (Chelsea, Washington) de Marcello Maloberti présente, quant à elle, un cortège improbable et carnavalesque d’hommes, de femmes et d’enfants se déplaçant dans la rue. Performance participative, l’évènement reprend les codes des processions festives et rituelles tout en explorant les effets et les conséquences d’une action menée de concert. Pour Marcello Maloberti l’espace urbain est un territoire d’expérimentation. Il fédère les individus, forme des groupes hétéroclites le temps d’une procession à travers la ville. Chaque protagoniste-artiste se voit attribuer un objet simple (chaises, tables, ballon, etc.), qu’il transporte en le portant sans consignes particuluères. L’objet est appréhendé comme le prolongement de son propre corps. Cette manifestation, improvisée et éphémère, incarne l’anonymat (une foule d’anonymes défilent en masse, regroupés, formant un seul corps) et paradoxalement lui confère une identité.
Dans un tout autre registre, le travail vidéo de Johanna Billing vacille entre la documentation et le dispositif expérimental scénographié. L’installation multimédia You Don’t Love Me Yet se présente comme une collection de reprises de la chanson éponyme de Roky Erickson. Sur une table sont dispersés des dvd contenant chacun une interprétation de la chanson. A l’aide d’un lecteur, le spectateur est libre de choisir les versions qu’il souhaite écouter. Entre variation et répétition, la pièce de Johanna Billing interroge les notions d’original, de copie, de droit d’auteur mais aussi d’identité.
Enfin, l’installation Los Desnudos (extrait de la série «Notre corps est une arme») de Clarisse Hahn présente des paysans mexicains sans terre qui inventent une nouvelle forme de lutte en utilisant leur corps comme le lieu d’une résistance politique et sociale. La double projection vidéo montre, d’un côté un groupe d’hommes et de femmes en train de manifester nus dans les rues de Mexico, de l’autre une femme qui raconte les raisons de la lutte. Ces personnes sont des paysans dépossédés de leurs terres manifestant afin que le gouvernement mexicain respecte un accord signé visant à leurs restitutions. Pendant trois ans les manifestants ont occupé la rue mettant en place une «stratégie de la visibilité». La nudité des individus détourne l’image du corps indigène pour en faire un corps exposé. Elle nous contraint, en tant que spectateur, à nous ouvrir sur l’expérience de l’autre tout en nous confrontant avec notre voyeurisme. Dans Los Desnudos, le corps est simultanément l’instrument et le sujet de la lutte.
Ainsi, l’espace public est à la fois le lieu de la transparence, de l’échange, de la communication, mais aussi celui de l’indistinction. Il s’agit d’un espace de visibilité, de représentation, de circulation des informations et des identités. Il est donc ouvert par opposition à l’espace clos de l’intimité. Cependant, il n’existe que grâce aux corps singuliers qui le traversent et l’occupent. C’est précisément cette dichotomie entre l’individuel et le collectif, entre le corps social et les territoires publics que questionnent les artistes exposés à « Situation(s) ».
Å’uvres
— Johanna Billing, You don’t love me yet, 2002-2012. Installation multimédia. Dimensions variables.
— Jakob Gautel, Maria Theodora, 1862-1863 / 1996-1997. Une photographie sépia et 120 photographies noir et blanc, robe en soie japonaise de Jakartta d’après le modèle de Maria Theodora sur mannequin de couture. Dimensions variables.
— Clarisse Hahn, Notre corps est une arme. Los Desnudos (Mexique), 2011. Installation vidéos, 2 écrans, 12 min 16 et 7 min 30.
— Matthieu Laurette, I am an artist, 1998-2012. Stylo sur papier à en-tête d’hôtel. 37,5 x 28,6 x 3,8 cm.
— Marcello Maloberti, The Ants Struggle on the Snow (Chelsea) et The Ants Struggle on the Snow (Washington), 2009. Vidéos couleur, 4 min 47 et 4 min 44.
— Melanie Manchot, Dance (All Night, Paris), 2011. Vidéo HD stéréo, 12 min 30.
— Melanie Manchot, Perfect mountain, 2011. Vidéo HD stéréo, 9 min 36 et 120 photographies sur table. Dimensions variables.
— Aleksandra Mir, First Woman on the Moon, 1999. Vidéo documentaire, 12 min.
— Frédéric Nauczyciel, The Fire Flies, Francesca, Baltimore, 2011-2012. Installation vidéo, deux boucles indépendantes : La Traversée, 46 min 19 et The Fire Flies, 58 min 09.
— Frédéric Nauczyciel, Vogue ! Baltimore 2011. Quatre photographies, tirages illfochromes.
— Marylène Negro, Daymondes, 2012. film, 79 min 13.
— Tsuneko Taniuchi, Micro-événement n°21 / Candidature en vue du mariage, 2003. Vidéo, 18 photographies, 18 certificats, podium, escalier, moteur, équipement audio, mannequin, robe de mariée et accessoires.
— Tsuneko Taniuchi, Micro-événement n°27 / Spring wedding, 2005. 20 photographies, 20 certificats. Dimensions variables.
— Tsuneko Taniuchi, Micro-événement n°23 / Mariée mobile, 2003. 15 photographies, 15 certificats. Dimensions variables.
— Tsuneko Taniuchi, Micro-événement n°26 / Je me marie en chinois, 2005. 17 photographies, 15 certificats. Dimensions variables.
— Tsuneko Taniuchi, Micro-événement n°24 / Wedding, 2004. Vidéo, 8 photographies, 8 certificats. Dimensions variables.
— Tsuneko Taniuchi, Mariage à l’église, 2002. Vidéo.
— Tsuneko Taniuchi, Anniversaire de mariages, 2010. Vidéo, 26 photos, 1 invitation. Dimensions variables.