Suzanne Lafont
Situations
Suzanne Lafont est une des figures les plus importantes de la scène française. Son travail a connu une grande visibilité dès les années 1990. Une exposition personnelle lui a été consacrée au Jeu de Paume en 1992. Elle a exposé la même année au MoMA (New York) et a participé aux Documenta IX (1992) et X (1997). Elle développe un travail photographique dans un champ élargi où sont convoquées des références au théâtre, à la performance, au cinéma et à la littérature.
L’exposition à Carré d’Art est une mise en perspective de ses travaux les plus récents. La plupart sont réalisés spécialement pour l’exposition. Le projet puise son matériau dans les clichés pris par l’artiste depuis 1995. Ils alimentent chaque proposition et permettent de recourir à différents régimes d’images à travers une suite de situations.
En introduction, 468 de ces données sont organisées sous forme de diaporama (Index). L’exposition se développe ensuite autour de la figure de l’acteur/performeur. Ce protagoniste active d’abord l’espace du spectateur, puis, avec Situation Comedy, From General Idea’s Pamphlet Manipulating the Self, il investit le champ du livre avant de lui laisser entièrement la place (The First Two Hundred Fifty Five Pages of Project on the City 2, Guide to Shopping). Il reparaît enfin dans l’adaptation d’un récit littéraire, The Mystery of Marie Roget d’Edgar Allan Poe.
L’exposition se clôt sur une annonce (On annonce une série de conférences) qui, en l’absence de tout contenu informatif, restitue au musée sa littéralité.
«Dans les années 1980, c’est peut-être surtout en Europe, que la photographie a été comprise à partir du tableau. Aux États Unis, dès les années 1960, Ed Ruscha, Sol Lewitt, Carl André…utilisaient la photographie dans la forme du livre, très éloignée du tableau.
Mon point de départ n’a pas été le tableau, il n’a pas été non plus l’art conceptuel que je connaissais très peu à ce moment-là . J’avais étudié la forme du dialogue, et j’avais travaillé sur ces questions avec Jean-François Lyotard, je ne pouvais qu’être familiarisée avec des formes traversées par la contradiction, avec des régimes différents de langage. Le fait que la parole ne transmette pas une image achevée et fermée de la réalité m’avait en quelque sorte initiée au collage. Je lisais Brecht également. J’ai plongé tête la première dans l’interruption de l’illusion.
C’est ce contexte qui m’a amenée par la suite à développer des formes qui empruntaient au théâtre et au cinéma. Jean-François Chevrier avec qui j’ai travaillé à partir du milieu des années 1980 m’a permis de regarder la photographie et son histoire. Dans le débat autour de l’image-tableau j’étais logiquement plus attirée par les procédures de montage. Je commençais à faire des photographies avec le souci de leur attribuer un certain caractère d’ «insuffisance» qui leur permettrait d’entrer en relation les unes avec les autres. Je travaillais avec l’idée, par exemple, qu’une montagne ne serait pas photographiée dans l’ensemble d’éléments qui constituent un paysage, mais en tant qu’unité. Ce qui ne veut pas dire qu’elle devait avoir nécessairement l’aspect fragmentaire d’un détail, mais plutôt celui d’une «pièce détachée».
Comme pièces détachées les images m’apparaissaient disponibles et repositionnables, de la même façon, exactement, que les mots d’une phrase le sont dans le contexte d’autres phrases. Ce qui, bien entendu, n’empêche pas les mots et les images d’exister isolément, à titre élémentaire.» Suzanne Lafont