Maguy Marin
Singspiele
Un homme tente de se glisser à sa façon dans la peau d’autres êtres, célèbres ou anonymes. Devenir quelqu’un d’autre, le temps d’un suspens, par le rythme, le souffle, le poids ou même l’odeur et laisser affleurer les mystères irréductibles qui se cachent derrière cette constellation de sensations qui nous arrive au contact d’autrui.
Singspiele est une histoire très simple: c’est l’histoire des gens. Même s’il n’y a sur scène qu’un seul acteur qui déambule, il est chargé d’incarner tous les êtres et les incarne vaillamment, l’un après l’autre, les connus et les inconnus, les reconnaissables et les anonymes. C’est un solo donc, mais c’est aussi autre chose. Il faudrait inventer un mot: un «foulo» peut-être, un homme incarne la foule à soi seul. C’est un trait frappant des derniers spectacles de Maguy Marin que les personnes sur scène essaient de convoquer celles qui n’y sont pas. Dans Description d’un combat, par exemple, les drapés grecs, les glaives romains, les couvre-chefs napoléoniens, les tee-shirt et les robes lamé or faisaient resurgir des enfers de la guerre des milliers de morts. Dans Turba aussi, les corps étaient soumis à d’incessantes métamorphoses, disparaissant sous les perruques, se travestissant sous des costumes toujours plus magnifiques, toujours plus chatoyants. Dans Singspiele encore la métamorphose est à l’œuvre, même si on laissera ici la surprise de la forme qu’elle prend.
Cette métamorphose, bien sûr, engage le corps entier mais peut-être d’abord et surtout le visage. Car le visage est ce qui fait le plus singularité dans l’être. Singspiele est donc un spectacle où les visages jouent un rôle crucial. Maguy Marin se place d’ailleurs à cette occasion dans le sillage des leçons du philosophe Émmanuel Levinas. Écouter un visage pourrait être une façon de résumer ce nouveau spectacle. Écouter attentivement les visages s’il est vrai comme le soutient Émmanuel Levinas que «la manière dont se présente l’Autre, dépassant l’idée de l’Autre en moi, nous l’appelons, en effet, visage.» Car un visage est plus qu’un visage, il est l’autre qui nous fait face et nous requiert de devenir nous-mêmes. Si les spectacles de Maguy Marin frappent aujourd’hui par leur belle radicalité, c’est qu’ils se contentent de gestes simples, de procédés essentiels. C’est qu’ils désossent la danse: regarder quelqu’un, le regarder être debout, écouter son visage et le sentir marcher puisqu’après tout «Marcher c’est en même temps s’élever et s’ancrer; laisser une marque et partir» (Marie Bardet dans Histoire des gestes).
Dans un déjà ancien entretien, Maguy Marin résumait très bien la (grande) ambition humaniste qui la caractérise et que poursuit Singspiele: «Tu nais toujours dans un milieu, dans quelque chose, et tu dois toujours tracer, à l’intérieur de ça, par le milieu une voie / voix, une petite fissure, quelque chose qui fait que tu t’échappes de là .» Pièce marchée, parlée, chantonnée, Singspiele poursuit en mode mineur l’entreprise de libération de la voie / voix que mène avec constance Maguy Marin.
Conception: Maguy Marin
Avec David Mambouch
Scénographie: Benjamin Lebreton
Lumière: Alex Bénéteaud
Création sonore: David Mambouch
Son: Antoine Garry
Aide à la réalisation des costumes: Nelly Geyres
Production déléguée: extrapole
Informations
Maguy Marin, Singspiele
Lundi, mardi, vendredi et samedi à 20h30
Jeudi à 19h30
Relâche mercredi et dimanche