ART | EXPO

Sinea

27 Oct - 15 Déc 2012
Vernissage le 27 Oct 2012

Gilles Saussier dévoile les séries d’un projet en cours centré sur l’exploration de la région natale de Constantin Brancusi (1876-1957), où fut érigé aux pieds des Carpates, dans la ville de Tirgu Jiu, le seul ensemble monumental du sculpteur. Cet ensemble comprend La Colonne sans fin en fonte de 29,33 mètres de haut, inaugurée le 27 octobre 1938.

Gilles Saussier
Sinea

En roumain, «sine» signifie soi. Ce mot est à la fois masculin («sinele») et féminin («sinea»), et combine le sens d’un soi ouvert et d’un soi caché. La Dame soi de Brancusi serait ainsi du côté de «sinea», une «essence soumise au devenir.» (Martine Braun-Stanesco, Emergences — effacements, Errances du regard sur les pierres, L’Harmattan, 2006, page 85).

Avec «Sinea», Gilles Saussier poursuit son interrogation croisée de l’histoire contemporaine de la Roumanie et de celle de la sculpture moderne, de Brancusi au minimalisme. Comme dans Studio Shakhari bazar (2006) ou Le Tableau de chasse (2010), Gilles Saussier part de faits réels enfouis et d’éléments d’enquêtes de terrain — en particulier ici un véritable scoop: sa découverte d’un clone de La Colonne sans fin fabriquée en 2001 par les repreneurs privés de l’usine où elle fut fabriquée en 1937 (Atelier Petrosani publié dans la revue Etudes photographiques n°28, novembre 2011, pages 108-119) — ainsi que de séries antérieures d’images, dont il s’empare pour recomposer l’histoire et construire de nouveaux monuments à la manière des spolia de l’antiquité.

Cette nouvelle spolia documentaire propose une méditation sur l’Art et la Révolution, la culture des matériaux chère aux constructivistes (la faktura) et l’érosion de la mémoire ouvrière et paysanne. Gilles Saussier cherche également à réintroduire une mobilité et une porosité du regard porté sur l’œuvre de Brancusi, en la détachant du seul contexte de l’atelier parisien de l’impasse Ronsin, pour la reconnecter à un territoire roumain vaste et ramifié, moins balisé par l’histoire de l’art. Territoire que dessine en creux l’inventaire de formes sculpturales élémentaires — naturelles ou industrielles — trouvées entre Petrosani, la ville industrielle et minière où La Colonne sans fin fut fabriquée dans la montagne, et Tirgu Jiu, la ville où elle fut érigée aux pieds des Carpates.
La rivière Jiu qui relie les deux villes, par un défilé abrupt et d’incessants méandres, forme la colonne de cet arrière-pays liquide de Brancusi dans lequel émergent plusieurs entités:
— Le monde du métal et de l’usine des Ateliers Mécaniques de Petrosani, où fut fabriquée La colonne sans fin en 1937, ainsi que son clone en 2001.
— Le monde du charbon dans la ville voisine de Petrila, dont le puits minier s’enfonce de près d’un kilomètre dans le sol, est un autre négatif inversé de La Colonne sans fin.
— Le monde des pierres de rivière dans la vallée du Jiu que traverse le chemin de fer, dont la réalisation (1948) fut le grand chantier patriotique de la Roumanie communiste (à l’égal du percement du canal de la Volga en URSS.).
— Le monde du bois et de l’architecture vernaculaire dans les campagnes proches du village natal de Brancusi, où a été conservée une maison à sa mémoire.

Gilles Saussier transforme son parcours dans chacune de ces entités en une visite de l’atelier d’un sculpteur. Sculpteur dont l’activité serait à l’égale du Jiu qui roule bois flottés et pierres de rivière à travers la montagne. Ces entités sont aussi des monades d’où observer les prolongements de la révolution roumaine: Minériades de 1991 pendant lesquelles les mineurs du Jiu marchèrent sur Bucarest pour s’attaquer aux forces démocratiques et à la jeunesse, désindustrialisation massive et fermeture des puits miniers, déclin des figures mythiques de la culture populaire et de l’aristocratie ouvrière (mineurs, cheminots).
Au partage abusif du monde entre le réel et son au-delà, la fiction, Gilles Saussier oppose la présence secrète et têtue d’un en deçà du réel, que l’œil «dés-enfouit» et libère par la taille directe dans le matériau documentaire: «Sinea», le soi des choses.

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