DANSE

Silences

PCamille Fallen
@07 Mar 2012

Après François Morellet en 2009, Vera Molnar, Stéphane Couturier et Ian Tyson en 2010, Alan Charlton en 2011, c’est au tour de Guiseppe Penone d’être le commissaire de l’exposition «Silences» réunissant au couvent dominicain La Tourette seize jeunes artistes, qui sont ou ont été ses élèves à l’École nationale des beaux-arts de Paris

À propos de ce couvent d’étude, bâti par Le Corbusier dans la région lyonnaise pour les frères dominicains et inauguré en 1960, l’architecte écrivait: «Il était question de loger des religieux en essayant de leur donner ce dont les hommes d’aujourd’hui ont le plus besoin: le silence de la paix. Les religieux, eux, dans ce silence placent Dieu».
Le temps a passé, les temps ont changé, sans doute plus d’une fois, mais une dizaine de dominicains vit toujours là, dont le frère Marc Chauveau, qui est à l’initiative de cette exposition, comme des précédentes.

Accompagnés de Guiseppe Penone et de Didier Semin, les seize étudiants sont d’abord venus en résidence plusieurs jours au couvent de La Tourette, afin de s’imprégner du lieu qui, malgré ou bien grâce au dessein de sa puissance architecturale, a laissé à chacun la liberté de trouver sa place, là où le silence, au singulier pluriel, peut devenir «Silences». Les jeunes artistes ont ainsi placé dans le partage et la multiplicité de ce silence le fruit de leur dialogue avec l’œuvre architecturale de Le Corbusier.

Ainsi, avant même de pénétrer dans le couvent, 0,5 t/min (2012), le siège motorisé et rotatif en béton armé de Martin Monchicourt apparaît-il en contrebas, posé sur l’herbe du cloître, prêt à asseoir le visiteur et à lui faire tourner l’architecture sous tous ses angles.
Comme s’il y avait là quelques tours nouveaux, spatiaux et temporels, spirituels et esthétiques, à expérimenter depuis le dehors, selon un certain rythme. Non pas la promenade d’un frère dans le cloître (qui d’ailleurs, se promène idéalement ici sur le toit-terrasse), mais la ronde centripète des éléments du bâtiment eux-mêmes.

À l’inverse, une fois passée la porte du cloître pour arriver dans le petit conduit, là où, sous l’escalier, se trouvent également les aubes suspendues, Martin Monchicourt introduit cette fois dans l’intimité de la cellule dominicaine, projetant sur le mur de béton la vidéo Cellule, film panoramique accordant son rythme circulaire à celui du dispositif extérieur.

À cheminer depuis le haut, à partir de la porterie, la déambulation s’amorce toutefois autrement, avec Sept poèmes pour l’oratoire (2012) de Margaux Bricler (feutre sur carton, papier journal) dont, au moment d’arriver dans le réfectoire, on retrouvera un autre travail intitulé Autoportrait-mélancolie: planté dans un support gris, un cierge de la taille de son corps avec, au-dessus de la flamme, une pièce en béton aux mesures de sa tête, tenue en l’air par deux câbles tendus. «La triste offrande ou plutôt sans contradiction aucune l’offrande amère jamais offerte » dit, dans l’oratoire, le cinquième poème, tandis que se consume doucement le cierge.

Reste alors à cheminer dans les couloirs de ce troisième niveau du couvent (qui correspond à la vie étudiante avec l’oratoire, la bibliothèque, les salles de classes) et, ce qui ne va jamais sans quelque jubilation presque enfantine, à se laisser aller à la découverte de ces jeunes artistes, dont certains exposent ici pour la première fois.

Pour n’en citer injustement que quelques-uns mais inciter à les voir tous: Point de départ, la maison en allumettes de Florian Mermin ; Tortore de l’esprit de Sandra Rehoudja, goutte à goutte d’eau mêlée d’acide tombant sur le crâne d’un buste réalisé en caramel et le creusant peu à peu de ses ruissellements; Sans titre de Sébastien Gillart, panneaux de verre et de plexiglas portant des impacts d’encre de Chine (et découpés à la façon des pans de verre ondulatoires de Xenakis sur la façade ouest du couvent).

D’une salle à l’autre, après s’être laissé entraîner dans la performance d’Aliénor Danchez (L’Errance, cube en bois et mousse qu’elle ouvre et ferme sur les volontaires en récitant le dernier texte de Samuel Beckett sur la mort); après avoir regardé se miroiter les fleurs aux perles funéraires de Pauline Guerrier et contemplé Sans titre (impression au noir de carbone) de Nailletine Lajoie évoquant aussi bien la méditation silencieuse que le masque mortuaire, la descente d’un étroit escalier en colimaçon finit par conduire au deuxième niveau du couvent (qui en compte cinq); nous arrivons ainsi dans l’atrium, dont le grand conduit descend vers l’église.

Là, se trouve Home de Ugo Schildge, grand collage sur bois fait à partir d’une prise de vue du cimetière dominicain. Découpée à l’aide d’un calque reproduisant à la mine de crayon la façade sud du couvent, la photographie, à travers différentes épaisseurs de collage, révèle un cimetière composant avec les formes géométriques d’un couvent devenu spectral, confondant ses traits et son relief avec les flèches en bois des tombes, le sol, la végétation, les arbres et les larges interstices d’un ciel tout blanc.

Étonnamment, la profondeur de ces formes et de ces ouvertures, de ces lignes et de ces transparences, on la retrouve dans le travail d’Adrien Maes, en allant réellement dans le cimetière. Là, Cellule déplacée (béton armé, fers à béton), structure de béton armée et de fers à béton dessine une cellule minimaliste, réduite à ses simples contours. Posée à terre mais transperçant aussi les airs, cette épure se fond avec le sol, la végétation et les arbres, tissant des liens invisibles avec la photographie d’Ugo Schildge, si bien qu’à la fois dans la cellule et au bord du cimetière, on trouve soudain autour de soi des cloisons sans frontières et, au-dessus de soi, un ciel grand ouvert. Un ciel qui, à partir de là, laisse sans voix, ouvert à tous nos silences.

À moins que l’on ne finisse encore par Le Corbusier, en disant: «Ici, il n’y a de place que pour l’essentiel».

Oeuvres
— Martin Monchicourt, 0,5t/min, 2012. Installation, béton armé, moteur, panneau CTBX. 125 x 100 x 62 cm
— Alienor Danchez, Errance. Cube en bois,mousse
— Florian Mermin, Point de départ, 2011. Allumettes, carton, colle, 67 x 67 x 67 cm
— Sébastien Gillar, Sans titre. Panneaux de verre, plexiglas, encre de Chine
— Ugo Schildge, Home. Collage sur bois. 250 x 150 cm
— Margaux Bricler, Melancolie, autoportait, 2012. Cièrge allumé, béton

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