Univers high-tech et design, oscillant entre sciences exactes et sciences occultes, cette exposition fonctionne sur un mode cinématographique : les installations sont autant de séquences d’un film, chaque plan appelle le suivant.
La narration, la temporalité sont en effet au cœur du travail de Loris Gréaud qui, dans la lignée d’artistes comme Philippe Parreno, conçoit une exposition comme «un nuage de récits» pour reprendre ici une expression de Hans Ulrich Obrist. Ce fil narratif est matérialisé par les Chains, sortes de cartels design reliés électriquement les uns aux autres ; c’est dans l’enchaînement que l’exposition trouve son sens.
Le mot «Chain(e)», emprunté à Philippe Parreno, peut s’entendre comme enchaînement d’œuvres, d’images, liées les unes aux autres ; et comme chaîne de travail. L’exposition a mobilisé de multiples collaborations (historien de l’art, critique, géobiologiste, sound designer, graphiste), comme un film, sur le mode d’une coproduction. Loris Gréaud se qualifie d’ailleurs d’artiste-réalisateur-producteur.
Il y a une dimension expérimentale dans son travail qui n’est pas figé dans une forme fixe, définie ou résolue, qui reste ouvert à des lectures et points de vue. Certaines œuvres présentées ici l’ont été à d’autres occasions et sous d’autres modalités. C’est le cas des deux vidéos du Frac qui ouvrent et clôturent l’exposition.
La vidéo Hors Prises ne laisse précisément pas beaucoup de prise au spectateur qui se retrouve littéralement projeté dans un univers irréel et atemporel. Tournée en super 8 noir et blanc, elle montre le rêve ou le cauchemar d’un homme perdu dans des paysages de dunes où apparaît et disparaît une dame blanche sans visage, sorte de mauvaise conscience fantomatique, semblant sortir tout droit d’un film expressionniste de Murnau. Une musique angoissante accompagne l’action à la manière des films muets et l’image se reflète, verdâtre, en négatif dans le plafond transparent.
La tension s’exacerbe avec des plans accélérés de la mer ou du soleil. Puis l’image s’arrête brusquement, une lumière blanche sature la petite salle de projection, sorte de purgatoire avant la reprise du cauchemar. La salle plongée dans le noir laisse apparaître un plafond étoilé à l’aide d’une peinture industrielle conçue par l’artiste, M 46, du nom d’une constellation découverte récemment.
On reste dans l’ambiance avec un parfum de la planète Mars (synthèse des descriptions des romans d’anticipation et des données de la sonde Spirit) diffusé par des brumisateurs dans toutes les salles.
Puis c’est au tour d’un canard d’être mis sur orbite avec une station futuriste au design soigné, tout confort pour volatile, prétexte à une métaphore esthétique empruntée au cinéaste David Lynch : l’œil du canard idéalement placé par rapport au reste du corps pourrait être comparé à la scène parfaite au sein d’un film, pierre angulaire de tout son développement.
Du ciel à l’enfer, il n’a qu’un pas (ou une installation) : la suite du parcours nous fait redescendre sur terre puis sous-terre. Avec les Residents, l’artiste nous livre à une soufflerie infernale matérialisant les cloisons d’un appartement situé à quelques kilomètres du Plateau à vol de canard, dans l’île de la cité, où de pauvres visiteurs-cobayes passent des nuits difficiles.
L’artiste s’est associé ici à des géobiologistes pour réaménager l’appartement afin de créer des conditions maximales de mal être pour les résidents qui rendront compte de leurs angoisses sur répondeur et sur France Culture. Les ateliers de création radiophoniques participent en effet à l’expérience avec le projet Haunted Quantum. Historien, géobiologiste, spécialiste de la télé présence tenteront de reconstituer une géographie de l’appartement et de mesurer l’énergie maligne qui le charge, un peu dans l’idée du projet de Philippe Parreno, La Peur des anges, où des voyants, exorcistes et radiesthésistes sont convoqués pour assister à une exposition qu’ils doivent décrire ensuite.
Loris Gréaud nous invite ensuite à améliorer notre acuité visuelle avec du cresson saturé en anthocyanine, pigment naturel que l’on a l’habitude de donner aux pilotes de chasse afin d’augmenter leur vision de nuit. Goûtez-en avant de vous placer devant les Dream Machines où vous aurez à fermer les yeux pour «voir».
Ces caissons lumineux, inspirés de la Dream Machine du peintre et alchimiste moderne Brion Gysin, recevront vos pensées qu’ils convertiront en images. La pensée se donne à voir dans cette œuvre qui rejoint la fascination du XIXe, mais aussi de Kandinsky et Kupka, pour les phénomènes vibratoires.
Les technologies électroniques de la communication d’aujourd’hui prolongent les recherches des peintres abstraits dans un art immatériel où l’expérience et la sensibilité du spectateur sont requises.
Après cette expérience «sub-liminale», vous serez bientôt au seuil de l’exposition comme vous l’indiqueront les néons clignotant au rythme du code morse du même Limen. Pour clore le parcours, la vidéo Introduction, un début pour une fin, fait revoir en accéléré l’exposition à travers une succession de plans fixes, silencieux, reprenant des éléments des pièces présentées : le silence va plus vite quand il est joué à l’envers. La boucle est bouclée mais l’exposition reste «irrésolue» et s’ouvre déjà sur d’autres projets, un projet éditorial autour de l’exposition par exemple qui verra le jour en septembre 2005.
Loris Gréaud
— Introduction, 2004. Exposition en ligne, film béta-numérique.
— CFL (cognitive Fooding Laboratory / compact fluorescent light), 2004. Laboratoire, raccords en aluminium, profils en aluminium, tubes en plexiglas, mousses, pousses de cresson modifié, tubes néons de croissance; design: James Heeley. 165 x 132 x 72 cm.
— Dream Machines, 2004. Développements électriques : Jérôme Barbé; production : gb agency et Le Plateau / Frac Ile-de-France.
— Limen, 2003. Développements électriques : Jérôme Barbé; production : gb agency
— Chains, 2005. Installations lumineuses dessinées avec Christophe Lucchini, développement : Christophe Lucchini; production : Ghosting Production, gb agency, Le Plateau / Frac Ile-de-France.