Sideways Rain part d’une image poétique forte et va jusqu’au bout d’un concept : des danseurs n’ont pas de cesse de traverser le plateau de gauche à droite, tels des lettres d’une écriture mystérieuse, dans un égrainement continu d’une pluie lourde, charnelle qui aurait déserté la verticalité.
De par l’obstination de cette écriture qui décline la traversée en marche, course, reptation, glissement, la pièce accède à une qualité expérimentielle toute particulière, immersive et déstabilisante. Boris Charmatz, dans sa dernière création Levée des conflits, se donnait comme défit d’accéder à la temporalité d’une sculpture à travers un exercice formel rigoureusement respecté dans la figure du canon chorégraphique. L’artiste associé de la prochaine édition du festival d’Avignon visait l’immobilité au cœur même du mouvement. Guilherme Botelho, lui, décompose le mouvement pour mieux nous faire éprouver sa dynamique inexorable. Le chorégraphe suisse travaille à la manière des anciens maîtres du proto-cinéma.
Les silhouettes qui traversent la scène selon une même cadence nous renvoient aux expérimentations d’Eadweard Muybridge dont les séries photographiques s’évertuaient à capturer le mouvement. C’est un travail minimaliste qui joue sur la répétition et les rythmes. Au premier abord, on pourrait lui reprocher la distance à laquelle il maintient le spectateur, dans un rapport bidimensionnel spécifique à l’image. Et pourtant ce même spectateur finit par se retrouver aspiré dans le vortex du mouvement continu. L’image mouvement s’efface au profit de la pure matière. Guilherme Botelho réussit à installer quelque chose de l’ordre du flux, que les ruptures de rythme et les changements de vitesse rendent d’avantage palpable – une certaine densité est donnée par couches, superpositions et persistances rétiniennes. Le plateau devient un espace sensible qui capture, circonscrit le mouvement : même quand il n’y a presque plus personne sur scène, celui –ci continue à circuler.
Certaines formes se prêtent d’avantage à cette fluidité indistincte. La danse, qui évoque l’animalité des chorégraphies de Sidi Larbi Cherkaoui, la densité quasi-irréelle de Tamara Bacci dans Obvie, solo créé pour elle par Cindy van Acker, ou encore la vision des corps tiraillés par des forces invisibles de la peinture de Francis Bacon, entraîne un bousculement de repères : la pluie pourrait bien tomber de gauche à droite !
Les contours des corps, chacun avec sa spécificité et son histoire, à mille lieux de toute volonté d’uniformisation ou d’unisson, s’effacent pourtant, portés par le courant, dématérialisés dans le flux. Des bribes de narration éclatent parfois dans un échange de regards, dans le tressaillement des mains qui cherchent à se toucher. Ailleurs, quelqu’un court à contre-courant, lutte, résiste, avant de se faire emporter. Ce sont des moments rares et précieux qui mettent en exergue la puissance et l’urgence de ce mouvement.
— Chorégraphie : Guilherme Botelho
— Assistante :Â Madeleine Piguet Raykov
— Interprétation : Stéphanie Bayle, Rémi Bénard, Fabio Bergamaschi, Erik Lobelius, Stanislav Guenadiev, Philia Maillardet, Alessandra Mattana, Danilo Moroni, Madeleine Piguet Raykov, Julien Ramade, Claire-Marie Ricarte, Candide Sauvaux, Nefeli Skarmea, Christos Strinopoulos
— Musique : Murcof (Fernando Corona)
— Lumière : Jean-Philippe Roy
— Costumes : Marion Schmid, d’après Julia Hansen
— Scénographie : Guilherme Botelho, Gilles Lambert, Stefanie Liniger
— Réalisation décor : Atelier de décors de théâtre du Lignon
— Regard extérieur : Gilles Lambert
— Direction technique : Barthélémy Mc Cauley
— Administration : Cécile Buclin
— Diffusion et communication : Richard Afonso