Communiqué de presse
Nina Childress, François Dilasser, Philippe Durand, Alexandre Estrela, Anne-Marie Filaire, Bertrand Lavier, Guillaume Lemarchal, Jean-Philippe Lemée, Frédérique Lucien, Tony Matelli, Tania Mouraud, Maria Nordman, Etienne Pressager, Barbara Probst, Sarkis, Hervé Vachez, Sébastien Vonier
Si loin, si proche
En exergue à cette exposition, dont le titre renvoie à un film de Wim Wenders évoquant la chute du mur de Berlin, Le Mont St Michel appartient à tout le monde de Jean-Philippe Lemée ébauche la notion de distance mise en oeuvre par les artistes réunis à L’Imagerie. Le Mont, tel un point de repère universel entre mer et terre, rapetissant ou s’élevant selon l’approche et le point de vue que l’on en a.
S’inspirant du Thabor, parc central de la ville de Rennes dont les allées permettent différents parcours, Maria Nordman propose une structure conçue comme un paysage dont la perception varie en fonction de la lumière et de la direction choisie. C’est, ici, le système coulissant de l’oeuvre et sa transparence qui indiquent diverses traversées possibles.
Non loin de cette perspective imposante, Tony Matelli choisit de se pencher vers le sol pour accorder toute son attention à quelques mauvaises herbes, d’autant plus indestructibles qu’elles sont fabriquées en bronze. Placées le long du mur immaculé de la salle d’exposition, elles représentent le défi de la nature contre laquelle l’homme demeure impuissant malgré une attention de tous les instants.
Si le règne végétal intéresse aussi Frédérique Lucien, c’est pour sa complexité organique constituant le motif à peindre, dessiner, découper afin de rendre la tension entre abstraction et réalité. Dans Simple temps blanc, l’incision tient lieu de dessin pour représenter le contour de pétales, comme si l’atmosphère elle-même pouvait sculpter des inflorescences.
A sa manière, Etienne Pressager herborise également, mais ce qu’il recueille en vue d’une étude précise, ce sont des détails d’objets se détachant sur de grandes feuilles blanches. Objets sous lesquels il ne mentionne pas le nom mais des indications de lieu, de date ou de circonstance, accordant autant d’importance à ses déambulations qu’à sa cueillette.
En intitulant son oeuvre Vertice Anayet (nom d’une hauteur située dans le Parc National des Pyrénées), Sébastien Vonier entend bien se mesurer à l’espace mais de manière exclusivement visuelle: car, si muni de cette précision géographique, le spectateur peut y retrouver les teintes d’un paysage, l’immense nuancier rythmant le mur fait perdre toute notion d’environnement.
Dans Paysage imparfait d’Hervé Vachez, l’imperfection pourrait être due à une déficience visuelle obligeant à une mise au point impossible. Le lointain semble se situer au premier plan tandis que les éléments proches s’éloignent dans l’espace, perturbant le décor, invertissant haut et bas comme si l’on était en chute libre. Mais un paysage est aussi constitué d’éléments invisibles; c’est de surcroît un lieu où se joue le rapport à l’autre, ce qu’atteste l’OEil de singe, à peine repérable tant la dichotomie abstraction/figuration est un leurre, n’existant qu’en fonction du regard.
Pour François Dilasser, le paysage offre des variations picturales qui ne sont que prétextes au jeu de la forme, véritable sujet de sa peinture. Métamorphoses est un ensemble de quinze toiles réunies en une seule peinture. Le titre peut se lire à différents niveaux, les métamorphoses étant celles du cycle de la nature mais aussi de toute l’oeuvre de l’artiste.
Les territoires photographiés par Guillaume Lemarchal sont des relevés de terrain étranges. La rigueur du cadrage laisse une grande place au vide. Immersion 1 est une photographie prise en Ukraine dont la composition et les teintes font songer à une aquarelle, mais loin du thème habituel à cette technique. Au premier plan, émergent les restes d’un bateau ou d’un engin rouillé révélant la corruption du site et sa contamination sans fin.
Tania Mouraud a toujours conjugué expérience sensorielle et perceptive tout en se positionnant face aux réalités du monde. Borderland appartient à une série de photographies sur le reflet du paysage environnant dans l’emballage plastique des «round baller» de paille. Il en résulte une approche détournée du paysage, autre manière de représenter la picturalité.
Nina Childress insiste sur l’insuffisance de notre perception du monde. Perturber les repères est l’enjeu de Bluriness, oeuvre réalisée à partir d’une photographie prise aux environs de Bazouges-la-Pérouse, en Ille-et-Vilaine. L’artiste reproduit sur toile le flou d’une image enregistrée depuis une voiture, réalisant un télescopage du temps et de l’espace.
Pour Sarkis dont l’oeuvre est faite de peintures, collages, aquarelles et installations, les films sont devenus la prolongation de ses aquarelles, discipline qui ne cesse de le fasciner. Dans les trois vidéos présentées à Lannion, Sarkis réalise des aquarelles dans l’eau d’après les tableaux du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich. A chaque peinture de Caspar David Friedrich correspondent les teintes employées par Sarkis. Chacun des films a son propre intitulé commençant de la même manière: d’après Caspar David Friedrich, suivi d’une précision en référence au tableau du peintre. Ce n’est pas, ici, le paysage qui est prétexte à interprétation mais bien ce qui fait l’oeuvre d’art, la proximité s’effectuant par-delà les époques.
Anne-Marie Filaire présente un diptyque Depuis Anata, Depuis Shufat. Ce sont des relevés extrêmement précis du village d’Anata et du camp de Shufat situés au nord-est de Jérusalem. Zones tampons dans lesquelles, même si aucun habitant n’est présent, les traces de l’activité humaine saturent l’espace. A l’aide de plusieurs prises de vues, elle reconstitue l’ampleur du paysage, donnant l’impression d’un travelling cinématographique.
Avec Landscape painting & beyond, Bertrand Lavier joue de l’ambiguïté entre photographie et peinture. L’oeuvre s’organise à partir de la photographie d’un paysage de campagne marouflé sur une toile tendue sur châssis. La moitié droite de l’image est recouverte de peinture et se poursuit ensuite directement sur le panneau de bois. L’artiste opère une transgression des limites et révèle les possibles fonctions de la peinture: objet-tableau, espace de re-présentation du réel ou encore simple matière couvrante.
Exposure # 44 de Barbara Probst est l’enregistrement simultané d’une scène qui contribue à l’effondrement de l’habituelle perception espace/temps. Dans ce diptyque, le regard ne cesse d’effectuer des allers-retours entre attente et mémoire, à la recherche d’une vérité photographique que l’artiste s’ingénie à déconstruire.
Philippe Durand s’intéresse aux signes produits par le capitalisme présents dans notre champ de vision. Offshore (For Sale) appartient à une série réalisée aux Caraïbes, l’un des symboles du système ultra-libéral. Ce serait une photographie banale de paysage tropical si l’on ne distinguait au bout de la route une pancarte «for sale». Dans ce paradis fiscal, l’artiste pose son regard en contrepoint sur cette minuscule pancarte, en une métaphore capable de suggérer l’invisible.
Le travail d’Alexandre Estrela tourne autour de la convergence des temps et des lieux. Light bridges, 2007, est une vidéo composée de deux photographies en apparence semblables. La première est une prise de vue du pont du 25 Avril à Lisbonne, la seconde est celle du Golden Gate à San Francisco. La ressemblance entre les deux ponts réside dans le fait que le pont de San Francisco a servi de modèle à celui de Lisbonne. La vidéo est un long fondu enchaîné entre les deux images. Les structures des deux ponts se superposent, n’en formant plus qu’un tandis que le paysage se modifie sous un soleil uniforme. Deux bandes sons ont été enregistrées sur les deux ponts, séparément, puis mixées jusqu’à ce que la superposition des images et du son donnent la note sol. Le mot, en portugais, signifiant aussi bien la note que le soleil.
Une autre version du Mont Saint-Michel de Jean-Philippe Lemée clôt l’exposition en une sorte de vis-à -vis. Le paysage fait la preuve d’une confrontation permanente entre les oeuvres et les spectateurs, il joue des écarts de vision et déjoue les fortifications du regard.