DANSE | CRITIQUE

Si je meurs laissez le balcon ouvert

PCéline Piettre
@14 Déc 2010

Avec Si je meurs laissez le balcon ouvert, Raimund Hoghe emprunte les mots de Federico Garcia Lorca pour rendre hommage à Dominique Bagouet, et par la même occasion aux chorégraphes récemment disparus: Pina Bausch, Merce Cunningham, Odile Duboc…

La forme monumentale ― 3h15 de spectacle! ― est à la hauteur du deuil à accomplir, et renoue avec la longueur des premières pièces du dramaturge allemand: Meinwärts en 1994 ou Chambre séparée en 1997. Mais à la différence de ces dernières, la durée est ici mortifère. Elle tend à figer le propos en mémorial, et finit par caricaturer l’émotion à force de la répéter. Si je meurs laissez le balcon ouvert perd en force ce qu’elle gagne en ambition, mais n’en demeure pas moins un beau mélange entre allégresse et gravité, à l’image même du chorégraphe français mort en 1992.

Dès les premières minutes, la scène accueille un cérémonial païen. Les neuf interprètes s’alignent en un rituel intime. On communie avec des peaux d’orange dont on se recouvre ensuite le regard. Chaque geste qui commence à se construire est une offrande. On parcourt la scène, traçant, mesurant le territoire de la perte. Comment danser, jouer l’absence? Raimund Hoghe tente d’y répondre en composant − lui, le maître du dépouillement − l’une des pièces les plus «remplies», les plus enjouées de sa carrière.

Difficile de faire autrement, il est vrai, avec la danse sautillante et colorée de Dominique Bagouet, qui a le sens de l’humour et du dérisoire, autant que du tragique. Une danse qui trouve sa puissance d’élasticité dans un fort ancrage au sol ; ses qualités bondissantes dans la mobilité du haut du corps et la fluidité des bras. C’est elle, qui sature l’air de vitalité et s’évertue inlassablement à combler le vide laissée par son absence. La musique, elle aussi très présente, se déroule comme une playlist de l’éclectisme «bagouetien», de Bach (So Schnell) aux Doors (Jours étranges) en passant par les chants populaires espagnols (Necesito).

Car si l’on croit voir passer le fantôme de Pina Bausch à l’occasion d’un duo castrateur ou celui d’Odile Duboc entre les notes du Boléro de Ravel samplé par Dusty Springfield…, c’est avant tout le spectre de Dominique Bagouet qui hante Si je meurs laissez le balcon ouvert. La encore, on pourra reprocher à Raimund Hoghe son excès de fascination pour le chorégraphe et l’articulation quelque peu laborieuse qu’il propose entre l’original et le ready-made, la transmission d’un répertoire et l’esprit de son auteur, son registre propre et celui du cher disparu.

Certes… mais ces quelques fausses notes ― inattendues dans une œuvre d’une rare justesse de composition ― voisinent avec une intensité restée intacte: quand le dramaturge, vêtu de noir, se confond avec le rideau de fond de scène, prisonnier d’une présence absente… Ou plus loin, dans le solo final d’Emmanuel Eggermont qui, de sphinx à faune, rappelle sur la scène le souvenir de Vaslav Nijinski et salue, au delà du seul Dominique Bagouet, la danse et son histoire.

— Concept et chorégraphie: Raimund Hoghe
— Collaboration artistique: Luca Giacomo Schulte
— Décor, costumes, lumière: Raimund Hoghe
— Avec Ornella Balestra, Marion Ballester, Astrid Bas, Lorenzo De Brabandere, Emmanuel Eggermont, Raimund Hoghe, Yutaka Takei,Takashi Ueno, Nabil Yahia-Aïssa

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