Passionné de voyage et de littérature, Shimabuku nourrit son travail de petites histoires saisies ça et là lors de ses déplacements. Qu’elles mettent en scène des amis ou des inconnus, des animaux ou des personnages légendaires, celles-ci naissent souvent de rencontres au hasard de ses voyages. Ce qui insuffle à ses œuvres une part de rêve, de magie et de poésie. Ainsi, lorsque Shimabuku découvre, à Fukuoka, au sud du Japon, la légende d’une sirène dont le corps, qui mesurait 165 mètres de long, s’échoua là en 1222, il décide de s’approprier cette histoire et s’achète une corde longue, elle aussi, de 165 mètres, « pour se rapprocher » de cette femme-poisson. Emmenée tout autour du monde, cette corde devient un vecteur qui relie la fiction au réel, le passé au présent, le Japon au pays d’escale. Mais cette œuvre est aussi un support d’échange et de communication entre les individus puisque l’artiste a demandé à plusieurs de ses amis d’imaginer et de représenter cette sirène à l’aide de dessins, de broderies et de marqueteries.
Par le voyage, Shimabuku étend ses œuvres dans l’espace, crée des liens entre les hommes en rapprochant les lieux, les hémisphères comme l’illustre parfaitement I’m Traveling with 165-Metre Mermaid où la corde lui permet de nouer symboliquement Fukuoka à Marseille ou encore à Sydney. Quelquefois c’est le hasard lui-même qui met en contact les lieux. En effet, invité au Printemps de Cahors, il s’intéresse à l’éthymologie du nom de la ville et découvre qu’il provient de la rencontre d’un chien « Ca » et d’un ours « hors ».
Fortuitement, cette rencontre, qui tient aussi de la légende, le renvoie à sa vidéo Encounter of Octopus and Pigeon où il tente d’établir un contact entre un poulpe et des pigeons. Malheureusement, ce ne sont pas des pigeons qui arrivent, mais deux chiens. Ce pourquoi dans son installation à Cahors un poulpe, spécialité culinaire de sa ville natale Kobe, attend dans un immense aquarium la venue d’une personne accompagnée d’un ours et d’un chien, symbolisant ici la ville de Cahors. De cette coïncidence, Shimabuku exploite les signes pour tenter d’abolir les frontières qui séparent ces deux villes.
Les œuvres de Shimabuku participent à un même récit où se rencontrent et s’enchevêtrent tous les acteurs de ses histoires, vivant ou fictionnel, animal ou humain, créant ainsi une toile, un réseau. Ce réseau, qu’il compare lui-même à une immense forêt à plusieurs entrées, l’homme est invité à le pénétrer et à y participer. Selon Shimabuku, l’artiste est « une sorte de pont ». Ses histoires qui ne cessent de se réécrire, de s’enrichir et de se développer font que son travail n’est jamais achevé et n’a pas de forme fixe, définitive. Comme l’élastique dans lequel on passe son corps (Passing Through the Rubber Band), les œuvres de Shimabuku sont des passages qui conduisent vers un monde sans frontière, sans gravité où les poulpes rencontrent les chiens et les pigeons, où les sirènes qui habitent au fond des mers rencontrent les hommes qui vivent à la surface. Un monde où chacun a sa place, un monde où la poésie présente dans chaque chose rend tout possible.
Shimabuku :
— Cucumber Journey, 2000.
— Passing Through The Rubber Band, 2000.
— Christmas in the Southern Hemisphere,1994-1999.
— Octopus is Waiting for Someone with Dog and Bear,1999.
— At Down With Birds, 1999.
— I’m Traveling with 165-Metre Mermaid, 1998.
— In Search of Deer,1997-1998.
— Café- The Southern Hemisphere, 1996.
— Adolescence, 1995.
— Encounter of Octopus and Pigeon, 1993.
— On the Beach in Zurich, 1993.
— Preventing Senility, 1992.