Alfredo Jaar
Shadows
La photographie n’est pas la matière première d’Alfredo Jaar, encore moins son métier. L’artiste chilien qui vit à New York a certes appris le cinéma, mais c’est armé de sa formation d’architecte qu’il a construit une mise en scène minutieuse aux images d’une insurrection prises par le Hollandais Koen Wessing au Nicaragua en 1978.
Chaque photo de l’exposition «Shadows» illustre une dualité ou la présence d’éléments discontinus ont interpelé Alfredo Jaar. L’une d’elle montre, en pleine campagne, une mère et sa fille affolées d’apprendre l’arrestation du père. Alfredo Jaar se demande comment cette nouvelle a pu leur parvenir dans ce lieu esseulé. Les bras levés de la mère, de même que la symétrie que son corps dessine avec celui de sa fille transpirent l’artifice. Sur un autre cliché, des soldats contemplent, stoïques, un corps allongé qui semble faire exagérément le mort. Ailleurs, des individus, un homme au premier plan et trois femmes -dont une éplorée- sont en posture d’attente et paraissent étudier la mine la plus adéquate pour l’objectif.
On s’autorise l’hypothèse d’une imposture planant sur les photos de Koen Wessing après les avoir regardées longuement. Le premier temps du regard ne laisse rien perler tant la charge iconique de ces images est forte. Dans l’ordre rassurant des choses. Le soldat, la mère et la fille. La mort. Les pleurs. Le travail d’agencement, d’ordonnancement des photographies de Koen Wessing par Alfredo Jaar est comme une mise en scène sur une mise en scène: celle d’images d’une insurrection au Nicaragua qui vira au cauchemar mais que le regard sur commande imposé par les médias édulcorerait presque. L‘événement historique est proprement avalé par les affects et la compassion du voyeur pris en otage. Le dispositif imaginé par Alfredo Jaar est un jeu d’emboîtements et de références qui questionne notre rapport à la violence et à au réel. Est vrai ce qui nous touche ou ce qui a eu lieu ? «Shadows» nous invite à voir au-delà de la lumière éblouissante et autoritaire. Les ombres, ombres du doute, qui courent sur les images, ont beaucoup à dire.
Vernissage
Vendredi 22 avril 2016