Arraché à la sphère intime qui lui est due, le sexe expose le regard à une réalité aussi familière que sauvage, aussi convenue qu’inconvenante. Quel que soit le degré d’exhibitionnisme auquel notre monde nous accoutume insidieusement, les convenances se déplacent, mais ne s’annulent pas.
L’exposition «Sexe et Convenances» confronte les représentations de seize artistes: chacun déshabille à sa manière le corps de sa pudeur, laissant sur le seuil l’art de l’ellipse et de la suggestion.
Pour procéder à ce déshabillage impudique, la photographie jouit d’une puissance bien spécifique. Dessins et peintures donnent à voir gestes graphiques et matières picturales en même temps qu’ils offrent leur objet. Aussi présent soit-il, le sexe apparaît distinctement comme l’objet d’une représentation: le trait de l’artiste l’habille et le maquille en même temps qu’il le révèle. La transgression s’accouple alors à une métamorphose explicite.
L’image photographique, elle, est capable d’une crudité terriblement efficace. L’effet de présence du sexe brandi par l’objectif confère son efficacité à la pornographie, enclenchant le mécanisme d’illusion où le fantasme peut venir s’engouffrer.
Tony Ward, Natacha Merritt, Thomas Ruff s’emparent des clichés de la pornographie, chacun de manière très différente.
Les mises en scène de Tony Ward sont toutes des scènes de genre de la pornographie: femme léopard abandonnée à un plaisir lascif, pénétration explicite, ces clichés éculés prennent ici une dimension saisissante, à la fois par leur taille et par leur qualité plastique. Agrandies à l’extrême, les images sont grossies, faisant disparaître leur objet dans le grain du papier.
A mettre le nez trop près sur le sexe mis à nu, il finit par disparaître sous le regard écarquillé.
Natacha Merritt, pionnière de la prise de vue intimiste «amateur» et de l’exhibition de ses ébats sur les réseaux du net, montre sans fin son corps fragmenté par le plaisir.
Fiction et réalité se mêlent inextricablement dans ces images d’une vie privée livrée au grand jour d’Internet. L’appareil tenu à bout de bras par l’artiste réussit pourtant des cadrages dignes des plus savantes élaborations, faisant de ce «journal intime digital» une œuvre singulière.
Les conventions pudibondes et pudiques des siècles passées sont aujourd’hui obsolètes. L’art s’empare avec de plus en plus de curiosité et de proximité de la pornographie. L’un et l’autre s’attachent à montrer ce que les convenances ont soustrait au regard, et se nourrissent de transgressions incessantes.
Au centre de la galerie, la sculpture de Pascal Bernier, montrant deux squelettes copulant à quatre pattes, semble vouloir donner le dernier mot de la surenchère infernale à laquelle est promise la pornographie.
Au-delà des distinctions entre public et privé, au-delà des codes de la décence, la pornographie affecte la convenance qui distingue plaisir et cruauté.
Quoi de plus nu qu’un squelette, et pourtant quoi de moins excitant qu’un ensemble d’os auréolé d’un rictus pétrifié ? Le corps disparaît dans cette ultime nudité, et le sexe avec lui.
Lubia
— Polypolis, 2005. Performance et installation vidéo.
— Les Amantes, 2005/2006. Installation. 80 x 150 cm environ.
Natacha Merrit
— Sans titre, 1999. Impression jet d’encre. 26 x 42 cm.
Rachel Henriot
— Usage unique, 2005. Tirage lambda contrecollé sur dibond. 61 x 50 cm chacune.
Izima Kaoruzima Kaoru
— # 41, 2003. C-print. 51 x 233 cm environ.
Federico Solmi
— King Kong and the End of the World, 2005. Vidéo en dessin animé. 4 mn 27 s.
Pascal Bernier
— Love Stronger Than Death, 2001. Métal et squelettes en plastique. 145 x 200 x 120 cm environ.
Laurence Demaison
— Sous les jupes des filles, 2006/2007. Tirage argentique. 22 x 22 cm chacune.
Thomas Ruff
— GF 14, 2001. Tirage chromogénique. 112 x 149 cm.
André Jolivet
— Sans titre, 2006. Dessin sur papier. 80 x 60 cm chacun.
Loïc Connanski
— Matador, 1996. Vidéo. 2 mn 41 s.
Frederic Lecomte
— , Déshabiller le blanc , 2005. Vidéo . 7 mn.
Michaël Sellam
— Cascade, 2006/2007. Ordinateur, plexiglas, pompe, capteur, et phéromones humaines. 40 x 120 x 15 cm.
Torsten Lauschmann
— The Passion Prefix, 2002. Vidéo. 5 mn.
Irina Rotaru
— Femme, 2006. Dessin sur papier contrecollé sur aluminium.
Tony Ward
— Sans titre, n.d. Photo noir et blanc, tirage c-print. 182 x 120,5 cm.