Ce qu’il y a de plus frappant dans cette exposition consacrée au collage, c’est justement la manière dont les œuvres sont agencées entre elles. L’accrochage en lui-même apparaît effectivement comme un collage mêlant une grande diversité de médias (de la peinture à la vidéo en passant par la sculpture). Certaines œuvres vont même jusqu’à se superposer les unes sur les autres, à l’image de Semaeostomeae VII, méduses au pochoir sur fond blanc de John M. Armleder, monumental décor mural, sur lequel les natures mortes de Mathieu Mercier sont fixées.
Sous leurs allures anarchiques, chacune des œuvres exposées propose aux spectateurs de nouvelles configurations visuelles et mentales. D’une grande puissance, elles visent à subvertir nos sens et à perturber notre appréhension du monde.
Ainsi, Sarah Morris prend un malin plaisir à brouiller notre perception du monde, qu’elle juge d’ailleurs bien trop uniformisée. L’artiste stylise par là la structure du monument le plus emblématique de Londres, Big Ben, à l’occasion des Jeux Olympiques. L’horloge se transforme ici en une accumulation de formes géométriques aux couleurs vives, suggérant pistes d’athlétisme, bassins aquatiques et autres terrains sportifs.
Un peu plus loin, Cerith Wyn Evans perfore les photographies de célébrités de Yosuf Karsh, spécialiste du portrait «archi-posé» des années 50-60. En privant Helen Keller de visage et en affublant le sculpteur Giacomo Manzu de deux trous circulaires, l’un mangeant une partie de sa figure et l’autre grignotant un bout de son chapeau, l’artiste souhaite mettre à mal la représentation photographique, à laquelle nous accordons un trop grand crédit d’après lui. Car la photo ne peut se targuer de refléter toute la complexité d’une personne, son caractère, ses vides ou ses absences.
Dans un tout autre genre, le collage aborde aussi des questions politiques, sociales et historiques. Les travaux réalisés aident alors les artistes à exorciser des événements douloureux et à apostropher le spectateur sur des sujets graves (peine de mort aux Etats-Unis, attentats du métro de Londres survenus en 2005) en maniant des collages de figurines ou de symboles.
Avec Aquafresh plus Crest with tartar control, qui tire son origine de la célèbre photographie de Charles Moore immortalisant un étudiant noir sauvagement attaqué par un chien policier, Kelley Walker revisite les émeutes raciales de 1963 à Birmingham (Alabama). Après recadrage, l’artiste a fait couler du dentifrice coloré sur le tirage. Par-delà l’allusion scatologique et sexuelle, l’artiste maquille l’infâme, non pour l’occulter, mais pour que le spectateur redécouvre ce cliché et n’oublie pas la réalité qu’il dévoile.
Souvent simples et modestes dans leur forme, chaque Å“uvre apparaît comme un kaléidoscope auquel la puissance, la fantaisie, le rêve et l’invention ne font jamais défaut, et à laquelle plusieurs pistes de lecture peuvent être prêtées.