Camille Henrot, Claude Lévêque, Sterling Linder, Mathieu Mercier, Sarah Morris, Richard Prince, Cerith Wyn Evans
Seuls quelques fragments de nous toucheront quelques fragments d’autrui
«Was appropriation somehow a form of ecology? Just another way of collaging the bedroom.» Richard Prince
«Making collage is like running a marriage bureau with lots of very demanding customers. Those that you think will rub along nicely, often file for divorce within minutes.» Linder
La réalité de chacun est un collage composé de ce qui attire notre attention et de ce qu’en retient notre mémoire — nous composons avec ce qui nous est donné à voir dans une compréhension fragmentaire du monde. Nos idées et nos souvenirs ne sont souvent que des collages et le collage est la représentation analogique de ces associations.
Le point de départ du collage est une image (matérialisée ou mentale), qui en appelle une autre, puis en rappelle une autre, et ainsi de suite, pour constituer une combinaison d’images. C’est une technique, un mode de pensée, permettant l’association, fortuite ou provoquée, de deux ou de plusieurs réalités convergentes ou divergentes. Des images s’installent dans une situation, dans un espace, elles sont rassemblées, juxtaposées et agencées — se chevauchant, se succédant, se superposant — pour engendrer un récit.
Le collage produit des interactions conflictuelles ou fusionnelles, assonantes ou dissonantes entre des images agencées. Il est un écosystème d’associations hétérogènes, régi par le principe de mutabilité: c’est à la fois vouloir «faire crier les ressemblances» (Georges Bataille) et «cabrer les différences» (Serguei Eisenstein). Il est un display d’images, une «métaphore de fraternité» (Jean-Luc Godard), une métaphore de la dépendance, de la rencontre amoureuse ou de la copulation: «il y a une énergie libidinale adolescente dans cette pratique, et sa fixation à vouloir coller ensemble des choses et des images» (Tom Burr). C’est une «constellation de fragments» (Haris Epaminonda), une association d’images structurées par contagion «s’infectant les unes les autres» (Luis Jacob), une présentation de la réaction en chaîne et de la collision.
Le collage permet de «penser avec ses mains» (Denis de Rougemont), faisant ressentir l’intervention manuelle de l’indexation, de l’échantillonnage et du découpage. Les collages sont à la fois encyclopédiques et épiques dans leurs formes narratives, tandis qu’ils sont modestes et humbles dans leurs qualités physiques. Pour être agencées dans un collage, les images sont mises en péril — brisées, coupées, morcelées, déchirées, fragmentées. Ainsi, présenter une découpe, une déchirure rend d’autant plus tangible et présent le matériau lui-même, sa fragilité et sa friabilité: quand on nous montre que les images ne sont finalement que du papier imprimé, nous refusons qu’elles représentent autre chose que leur pure présence, leur pure chair sensible comme véhicule du mystère, de la complexité et des contradictions du monde, non comme un ensemble mais comme un monde fragmenté.
Thimothée Chaillou
Artistes: John M Armleder, Jesse Ash, Walead Beshty, Pierre Bismuth, Barbara Breitenfellner, Tom Burr, Anne Collier, Sam Durant, Marcel Dzama, Haris Epaminonda, Angus Fairhurst, Urs Fischer, Brendan Fowler, Luke Fowler, Noa Giniger, Wade Guyton, Robert Heinecken, Camille Henrot, Nathan Hylden, Annette Kelm, Gabriel Kuri, Elad Lassry, Claude Lévêque, Linder, Mathieu Mercier, Jonathan Monk, Sarah Morris, Richard Prince, Collier Schorr, John Stezaker, Catherine Sullivan, Kelley Walker, Gary Webb, Lawrence Weiner, TJ WIlcox, Cerith Wyn Evans.
critique
Seuls quelques fragments de nous toucheront quelques fragments d’autrui