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Serendipity

C’est un corps ambigu qui se présente à nous, dans la pénombre d’un parking de la rue de Belleville. Un corps venu du ciel, déposé à nos pieds dans son enveloppe de plastique blanc, prisonnier d’une chrysalide synthétique. Une fois à l’air libre — et exposé à nos regards — il dévoile sa carnation virginale et son apparente neutralité sexuelle, si bien qu’on lui prête volontiers le costume et les intentions de l’ange. Un corps de chair, donc, mais qui a la blancheur éthérée des divinités, l’évanescence des apparitions spirites.

Cette indétermination originelle renforce le caractère hybride de notre environnement immédiat :  lieu de passage, espace public investi pour l’occasion d’une dimension privée, juxtaposition et fusion du sacré et du profane en un décor de fête d’anniversaire ponctué d’autels domestiques et d’étranges totems fabriqués à la hâte. L’artiste y déploie une grammaire personnelle aux résonances liturgiques, qui convoque la symbolique du feu et de l’eau pour une allégorie de la naissance et du cycle de la vie, de la féminité dans ses métamorphoses. La musique live accompagne et balise le parcours d’intensités variables, en scénarise les étapes, faisant croire à l’imminence d’un danger ou à la nécessité du recueillement.

La présence de Caroline parmi nous est aussi insolite que bienveillante, imposante que discrète. Ses déplacements lents, ses gestes précautionneux accomplissent un rituel intime, dont la signification nous échappe, mais auquel il nous est demandé implicitement de participer par la déambulation, la voix, le regard ou le partage de nourriture — un délicieux gâteau d’anniversaire en l’occurrence ! La collaboration de chacun est induite, mais ne répond à aucun impératif. Cette absence d’autoritarisme conforte l’impression première d’un corps immatériel, transitoire, d’une présence susceptible d’être remise en cause mais qui contraint le public à se positionner dans l’espace, à s’inventer des expériences et un temps propre, quitte à suivre ou à briser le rythme donné.

Sous ses dehors mystiques, de prière collective aux vertus propitiatoires, de fiction ésotérique, l’intervention de Caroline Breton offre une sphère de liberté et d’engagement, où l’acte conduit à l’être. Par la vidéo, elle ouvre sur des territoires et des temporalités autres, dilatant l’espace et le champ des possibles, stimulant les imaginaires. Mais ici, la démarche performative est surtout un moyen de faire des découvertes à partir de paramètres imprévus, où l’on abandonne ce que l’on cherche pour ce que l’on trouve. Elle (comme nous) se risque à la Sérendipity, cette attitude qui consiste à rebondir sur les conséquences heureuses et fortuites d’une rencontre ou d’une expérience, cette terminologie anglophone en qui Joël Gayraud voit la poétique alliance de la compassion et de la sérénité.

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