Laura Lamiel
Sequence I II
Certaines Å“uvres dressent à la fois les plus précis et les plus ouverts des «portraits» ou «autoportraits». Chez Laura Lamiel, cela se traduit par une multiplicité de voix. Leur mobilité les ajuste constamment à une diversité d’objectifs et de questions: comment se dire à soi même ce que l’on voit ou devine? Comment s’adresser à l’autre pour qu’il partage cette difficulté qu’il y a de montrer, mais aussi de voir? Comment se libérer des antagonismes trop simples? Comment inclure son travail dans un programme de résistance au pouvoir qui nous veut amnésiques, en intensifiant par les objets et par les images la constitution de notre mémoire? Un simple gant de travailleur peut-il devenir l’instantané d’une révolution en cours?
La liberté dont a fait preuve Laura Lamiel, depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui, ne cesse d’étonner ceux qui auront su remarquer cet esprit anticonformiste et perspicace. Sa pratique s’est épanouie dans le silence et l’ascèse de couleur de son atelier, lieu de méditation, de transferts et de projections dans lequel l’artiste avance sans masque ni artifices, éloignée des ruses et des tactiques qui ont fait de la critique un pouvoir.
Le sujet est toujours fragmenté nous redit-elle et c’est avec une grande finesse qu’elle a récemment mis en scène, au centre d’art de Noisy-Le-Sec, un ensemble de propositions qui mettait le doigt sur la question cruciale du Moi social, opposé à toutes les potentialités que nous n’exploitons pas. Plusieurs «cellules» étaient dédiées à un savant chassé-croisé d’altérités qui impliquait une participation active du spectateur, seul responsable de l’activation (mentale) de tous ces arrangements d’objets familiers, comme autant d’indices d’une transmission quasi-généalogique.
Que ce soit en faisant face à l’Å“uvre comme on regarderait un tableau, ou en l’habitant par des modes de circulation qui impliquent une construction architecturale, tout autant qu’une construction organique, l’installation imaginée par l’artiste se parcourt et engage l’être et la pensée tout entiers.
Pour ce projet, Laura Lamiel souhaitait se raccrocher au réel et faire en sorte que l’Å“uvre exposée dans l’espace de la galerie devienne en elle-même un lieu, son propre lieu. L’Å“uvre est dotée d’une image dynamique d’elle-même et d’une conscience du mouvement qui l’a produite. Ce sol en bois et tous les objets qu’il abrite sont comme un prototype de l’âme collective, le noyau qui doit servir à tout re-produire. Tout doit se répéter, une fois achevé le cycle des combinaisons possibles. Le lieu devient l’objet d’une expérience, d’un événement psychique par lequel le visiteur peut appréhender l’inachèvement temporel d’un travail qui toujours veut renaître et recommencer.
L’inachèvement dans l’Å“uvre de Laura Lamiel est le résultat d’une négociation tendue à partir des combinaisons qui surgissent et s’anéantissent au sein de l’atelier, avant d’être rejouées dans un contexte précis que l’artiste regarde comme le ferait un metteur en scène, toujours en quête de lumière et d’ombres, de cuts imperceptibles.
Il s’agit le plus souvent de refuser une narration classique, laissant les images silencieuses et les objets se replier doucement.
C’est un monde que propose l’artiste, ressemblant fort à une île sur laquelle nous pouvons marcher librement à la recherche de l’expérience et de l’humain qui est en nous.