«Le mensonge dans la figure de l’art, sous les catégories Esthétiques, Ethiques et Politiques»
Université Paris 8
L’événement
Communiqué de presse
Nous souhaitons mener une réflexion pour approfondir les conséquences de la négociation du sens à partir de l’utile et de l’inutile, qui, depuis un certain temps, entraînent inévitablement l’abolition de l’Art en tant que figure critique de l’esthétique, de l’éthique et du politique, et par conséquent, rend l’Art incapable de sortir de la standardisation de son objet.
Nietzsche nous paraît ici une référence incontournable.
Tant que l’on cherche la vérité dans le monde, on se tient sous la domination de l’instinct cherchant les effets du plaisir de cette croyance. Le plaisir le plus grand, parce que sous la forme d’un mensonge, est esthétique, il dit la vérité d’une façon tout à fait générale – Illusion nécessaire à la liberté morale – L’art traite donc l’apparence en tant qu’apparence, il ne veut donc pas tromper, il est vrai. (F. Nietzsche, Le Livre du Philosophe)
Résumé des principales directions de recherche dégagées au cours de la première journée (11 février 2005)
Le mensonge se définit comme intention consciente de contredire la vérité (Patrice Vermeren). La question se pose de savoir si l’art relève du mensonge en ce sens déterminé.
Cette question engage deux sous-questions : premièrement, l’activité artistique est-elle avant tout consciente? Ne doit-on pas renoncer à l’idée d’une maîtrise consciente de l’artiste sur sa production (cf. Schelling, Freud, etc.) Et deuxièmement, l’art a-t-il effectivement affaire à la vérité? Tout ne semble pas relever de la vérité. Considérons le cas de l’action politique : elle est évaluée non en fonction de la vérité ou de l’erreur, mais de la réussite ou de l’échec. Elle a toutefois encore affaire à la vérité à travers la catégorie du vraisemblable. Car l’action politique n’est possible que si elle peut entraîner l’adhésion des foules qu’il s’agit de convaincre. Il faut donc produire un discours vraisemblable. Mais le vraisemblable n’est pas le vrai. C’est peut-être même une forme particulière de mensonge.
Or l’art permet de construire le vraisemblable. Dans sa dimension mimétique, il est donc un instrument pour le politique. Aussi le politique a toujours cherché à asservir l’art pour en faire un instrument de propagande. Pour se libérer de la tutelle du politique, l’art doit-il rejeter le mimétique et la vraisemblance, comme le suggère Platon, et se redonner pour objectif une vérité plus haute?
Mais qu’en est-il de cette vérité? Ne faut-il pas admettre avec Nietzsche que la vérité est une illusion radicale? S’engager dans cette direction, c’est généraliser le concept d’art : comprendre la science elle-même comme création artistique, métaphorique. Si la vérité n’est qu’une « suite mouvante de métaphores, de métonymies », la frontière entre vérité et erreur s’efface. L’art est ce qui nous révèle que le monde n’est pas vrai, il nous confronte à l’inexistence. Et l’art contemporain, qui travaille, comme le montre Rancière (Ivan Lapeyroux), sur l’imprésentable, la défiguration de la figure, la dissolution des formes d’art traditionnelles (peinture, sculpture) apparaît alors comme l’exploration ultime de l’absence de toute vérité.
Reste trois difficultés à affronter : premièrement, comment éviter l’enlisement du nihilisme? Car tel est précisément, et c’est ce sur quoi insiste Ciro Bruni, l’enjeu fondamental de Nietzsche qui récuse les instincts eudémonistes. Deuxièmement, qu’en est-il de la volonté de vérité des artistes comme, par exemple, le compositeur Fausto Romitelli (Alessandro Arbo)? Est-ce une illusion nécessaire pour la création? Ou peut-on penser une forme de vérité par-delà la fictionalité essentielle de l’art ? Qu’en est-il ainsi de l’ambition « réaliste » en art? Est-elle également une irréductible illusion?
Troisièmement, Nietzsche affirme que l’art parvient quand même à une forme de vérité dans la mesure où il nous révèle le caractère simplement apparent de l’apparence, et nous dévoile sous la condition du mensonge la tromperie à l’œuvre dans les opérations de métaphorisation. Mais cette vérité n’est-elle pas celle du menteur qui dit «je mens»? Et la théorie nietzschéenne ne nous conduit-elle pas à un cercle logique analogue au paradoxe logique sur lequel a buté la théorie mathématique en 1901 (Alain Séguy-Duclot)?
Programme du samedi 2 avril
> Paul Ardenne
Historien de l’art contemporain, Université d’Amiens
Stratégies du bluff dans l’art contemporain (entre cynisme et auto-aveuglement)
> Amparo Vega
Professeur d’Esthétique, Université nationale de Bogota, Colombie
> Clélia Zernik
Normalienne, Doctorante en Histoire du Cinéma
Filmer le faux : Rashomon, d’Akira Kurosawa
Dans Acheminement vers la parole, Heidegger fait allusion, dans son dialogue avec le Japonais, au film de Kurosawa, Rashomon. Il reproche au film «son faire-devenir-objet», incompatible avec l’esthétique japonaise. Mais si cette critique pourrait valoir pour tout autre film, le choix particulier de Rashomon est significatif, et on peut y voir un redoublement de l’interrogation. Rashomon présente quatre déroulements différents d’un même meurtre. Comment le «faire-devenir-objet» du film peut-il présenter à même l’image des faits mensongers, des faits faux? Par quels stratagèmes, par quelle rhétorique, Kurosawa immisce les indices du faux à même l’objectivité de l’image filmique?
> Gilles Boudinet
Maître de conférences en Sciences de l’éducation, Université de Paris VIII
Art, éducation : entre vérité dissociée et mensonge critique.
L’art en éducation est de nos jours l’objet de deux tendances contradictoires. La première le réfute au nom d’une «vérité» héritant du positivisme, tandis que la seconde l’accorde à un paradigme général qui contribue à diluer les fonctions critiques qu’il assurait auparavant. En réponse à ces deux écueils, la dualité, pressentie par Nietzsche, entre le «sujet de la création artistique», en phase avec un «monde primitif de métaphores», et le «cachot de la conscience de soi», permet de problématiser l’art en éducation selon une dialectique opposant une dissociation ontologique à des formes symboliques unifiantes. Cette dialectique renvoie à la question du «contenu de vérité» des œuvres, à la fois comme «dé-menti» des falsifications positivistes et comme lieu d’un paradoxe, proche de celui d’Epiménide, dont l’irrésolution maintient l’énigme vive de l’esprit critique.
> Jean-Baptiste Dussert
Philosophe
> Jean Lauxerois
Philosophe, Traducteur
> Philippe Boisnard
Ecrivain, Video performer
Le concept en tant que contenu structurant de la vérité
Nietzsche, expliquant dans Le livre du philosophe en quel sens le concept tend à une identification non identique, n’ouvre pas seulement une critique de la vérité, qui ne serait qu’une métaphore, mais indiquant que s’effectue un oubli dans le temps, il indique surtout que cette vérité n’a que peu de valeur, tout concept ne valant que comme une pièce qui ne vaudrait plus par son empreinte, l’expérience originale qui l’aurait provoqué, mais seulement en tant que métal, selon le langage.
Le concept, en tant que contenu structurant de la vérité, poutre rigide dans l’édifice de la vérité, permet la répétition. Celle-ci se fait en soustrayant la force sensible de ce que renferme le mot. La diffusion médiatique, les modalités de toute forme de publicité pour la parole, les exigences de toute transaction communicationnelle, par leur règle d’échange symbolique conduisent à la mort de ce qui est transmis, toute signification se décidant non en référence à une expérience sensible initiale, mais selon les caractères d’association et de cohérence propre qui lient les mots.
C’est pourquoi, si Nietzsche met en critique pour une part les philosophes, qui construisent des allées de momies avec les concepts (Crépuscule des Idoles) ou bien les scientifiques des fossoyeurs, reste que cette critique concerne l’ensemble des hommes et la plupart de lieux communicationnels.
L’homme, l’animal parlant, deviendrait de moins en moins parlant, perdrait, la parole en tant que lien à l’expérience, à son propre déploiement de volonté de puissance dans la nature.
Ce constat, c’est celui que font les avant-gardes, dès le début du siècle. Hugo Ball, dans Flucht aus der Zeit, 1916, explique que par la poésie sonore, il veut «renoncer au langage dévasté et rendu impossible par le journalisme». Une forme d’aliénation de l’aura de la parole et de la création se définit par l’accélération de la logique technique qui gouverne la rationalité. Walter Benjamin en dresse le processus en1939 dans L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
Infos pratiques
> Lieu
Université Paris 8
Salle de Recherche A 2278
2, rue de la Liberté. 93526 Saint-Denis
M° Saint-Denis-Université
> Horaires
de 14h à 18h
> Contact et Réservation
T. 01 42 33 75 82
ass.germs@wanadoo.fr
> Entrée libre