Très loin de l’approche documentaire de la photographie, Jan Groover a toujours conçu l’image photographique comme un peintre construirait un tableau. Dans un jeu formel portant sur la structure de l’espace photographique, elle manipule le réel et le réenchante dans une vision qui, à l’opposé de toute neutralité, privilégie la sensation et l’immersion dans l’image.
Dans un rapport très libre à la couleur, à chaque fois sublimée par son travail de la lumière, elle donne corps aux objets et aux êtres. La photographe navigue sans cesse entre des noirs et blancs somptueux (tirages platine-palladium) et des images aux couleurs intenses et sensuelles (tirages chromogènes) qu’elle poussera au fur et à mesure de ses recherches vers la saturation et l’outrance artificielle.
Ce qui peut paraître comme un grand écart appartient cependant à un même questionnement sur la forme qui habitera son travail toute sa vie. Dans chaque image, on est saisi par un rythme, un jeu d’équilibre ou de déséquilibre. Que ce soit dans ses natures mortes ou ses photographies de parties de corps humains, elle questionne la relation qui se construit entre les différents éléments présents dans l’image, considérant lignes et volumes mais aussi matières et couleurs.
Devant les différentes séries qui nous sont ici données à voir (réalisées entre 1977 et 1990), le spectateur est frappé par la cohérence d’un regard qui pourtant n’hésite par à explorer de nouvelles directions. Groover n’a pas peur de se renouveler ou de paraître anachronique lorsqu’elle utilise un tirage ancien comme celui au palladium. Elle l’utilise pour des natures mortes épurées mais aussi pour ses photographies de corps humains comme dans ces trois belles photos de bras, mains et jambes qui rappellent celles d’un autre photographe américain d’une génération plus ancienne: Alfred Stieglitz.
Depuis 1977, les natures mortes ont été au centre de sa pratique photographique. On trouvera ici les différentes approches qu’elle a déclinée, travaillant sur les ustensiles de cuisine tout d’abord puis sur des compositions de formes incluant fruits et légumes et finalement sur de complexes installations d’objets. Dans ses mises en espace, elle crée ainsi des univers totalement artificiels, agençant les formes, les couleurs, les ombres et les lumières, n’hésitant pas à construire ses objets et à les peindre. A l’aboutissement de ce véritable théâtre d’objets, elle obtient ainsi d’étonnantes photographies qui soulignent la poésie du quotidien mais aussi le pouvoir de suggestion de l’artiste et sa capacité à nous emmener dans un ailleurs modelé par son vocabulaire plastique.