Seeland de Marylène Negro met en scène l’absence de baleines, la fugacité des avions, l’attente de quelque chose qui ne viendra pas — du moins pour le spectateur de l’œuvre.
Une série de photos intitulée «Baleines» (2005) décline un bras étendu pointant vers la mer. L’horizon plus ou moins penché indique que nous nous trouvons sur un bateau. Au bout de la douzième répétition, le geste de montrer semble vidé de son sens. Il ne pointe vers rien. C’est comme s’il se montrait lui.
Avec cette main sortant d’une manche de combinaison orange, ce bras est comme détaché d’un corps que nous ne voyons jamais. Il devient lui-même un animal fabuleux.
L’œuvre Baleines évoque une absence spécifique. Elle est l’image d’un échec. L’artiste, elle, les avait vues, les baleines. Mais sans pouvoir les saisir avec sa caméra. Du coup ce sont des images de l’échec d’une technique, la photographie numérique. «Entre le moment où j’ appuie sur le déclencheur de mon appareil numérique et la prise de vue, déclare Marylène Negro, il y a un décalage suffisant pour que les baleines aient disparue».
Avec Baleines, Marylène Negro offre un contrepoint au monde du tout visible, de l’image choc, et de l’image publicitaire hyper-explicite.
Le film, Le Ciel peut attendre (2006) met en scène l’attente d’avions qui passent parfois dans l’image, mais si vite qu’on ne peut guère les apercevoir. On entend le bruit, on attend l’avion — et déjà il est passé.
Pour Marylène Negro l’attente est souvent plus riche que ce qui est attendu «parce qu’on y commence à rêver, on remplit le vide de ses propres images mentales». L’absence acquiert ainsi une force qu’aucune image de baleine ou d’avion ne pourrait avoir. L’image d’une absence est une image potentielle. Et le potentiel est (presque) infini.
Seeland (2005) fait le récit en images d’un voyage à travers un pays du Nord. Mais on ne verra jamais ce qu’il y aura après le prochain tournant, ou la prochaine colline. Collines et virages se succèdent et offrent un regard indirect et discret sur un pays dont de nombreux photographes ont saisi la beauté.
Ici, Elvis accompagne les images avec Are You Lonesome Tonight?, chanson que l’artiste a choisie délibérément pour son caractère universel. Parfois la chanson s’interrompt. Les images défilent alors — tout différemment — dans le silence. Puis la chanson reprend.
Cette Å“uvre fait le récit d’un voyage en 4×4 à travers un pays où les ondes de la radio ne passent pas toujours, un pays d’une beauté devant laquelle la représentation directe doit «capituler». Ce sont des Å“uvres modestes d’une photographie consciente de ses limites.
La photographie Out of Reach (2006) montre une main qui tient un téléphone portable sur l’écran duquel s’affiche le message suivant: «Out of reach/not out of touch». Paradoxe: la main touche le téléphone, le SMS permet d’atteindre l’autre à distance, mais sans le toucher.
Si Baleines parlait de l’échec d’une technique de représentation, Out of Reach est un hommage rendu à un moyen technique capable d’envoyer un message qui surgira dans la main d’un autre comme venant de nulle part.
Toi (2006) décline autrement l’absence. C’est une image entièrement noire, la photo d’une personne la nuit. «Faut-il le voir pour y croire? Faut-il le croire pour y voir? », demande Marylène Negro.
Alors que Barthes affirme que «la photo est littéralement une émanation du référent» (La Chambre claire), celle qui est présentée ici interrompt la suite de la chaîne causale autant que celle du raisonnement. Qu’en est-il de l’émanation passée d’un référent lorsque l’image finale est entièrement noire? si on n’est pas littéralement touché par les radiations, peut-être l’est-on de manière profonde, imaginaire…
Marylène Negro
— Une nuit, 2006. Projection vidéo 16/9, couleur, muet, master mini DV et DVD. 2 mn 30 en boucle.
— Seeland, 2005. Projection vidéo 16/9, couleur, son, master mini DV + DVD. 22 mn.
— Baleines, 2005. 12 tirages numériques pigmentaires. 33 x 44 cm chacun.
— Neige, 2006. Tirage numérique pigmentaire. 90 x 120 cm.
— Out of Reach…, 2006. Tirage numérique pigmentaire. 120 x 90 cm.
— Dedans, dehors, 2006. Tirage numérique pigmentaire. 120 x 90 cm.
— Magma, 2006. Tirage numérique pigmentaire. 90 x 120 cm.
— Toi, 2006. Tirage numérique pigmentaire. 90 x 120 cm.
— Le Ciel peut attendre, 2006. Vidéo sur plasma, couleur, son. 72 mn en boucle.