Boris Achour
Séances
«Séances» est un nouvel épisode de la série Conatus initiée par Boris Achour en 2006. Plongés dans une semi-obscurité, divers éléments composent un décor-paysage à arpenter pendant une durée de 45 minutes. Films, sculptures, textes, sons, mais aucun acteur ni événement live: la conjugaison d’éléments formels, d’un espace, d’une temporalité et d’un public apparente cette proposition à un spectacle.
Aucun sens de visite n’est privilégié, les films et événements s’opèrent simultanément et sans ordre chronologique, produisant une forme de narration démultipliée et non-linéaire. À chaque spectateur de construire son propre scénario, par des méthodes d’association, de collage ou de corrélation mentales (des formes, des idées, des sensations) comparables à celles du montage, de l’enquête policière ou de la psychanalyse.
Même si le spectateur n’est jamais un simple récepteur passif, et qu’il participe toujours activement à la construction de sens d’une œuvre, il s’agit avec «Séances» d’exemplifier cette part active et de mettre sur un même plan d’exigence l’engagement dans l’œuvre de l’artiste avec celle du spectateur. Cette dimension non-autoritaire rejoint l’une des préoccupations au cœur de La Triennale et de son concept «Intense Proximité», qui est de proposer des écrits et des récits de l’Histoire (ici, de l’histoire) qui en brisent toute construction monolithique, univoque ou dominante.
«Séances» invite ainsi à la construction d’un récit, et donc d’un espace à la fois physique et mental, rendu possible par l’articulation d’images et d’objets hétérogènes, dont on ignore s’ils proviennent ou non d’une origine commune: assemblées rituelles, gestuelles, feux de camps, segments de poésies, forment un ensemble épars aux multiples résonances et aux fonctions indéterminées. Les films et sculptures deviennent sources de lumière, des sculptures se retrouvent dans certains films sous forme d’accessoires, suggérant une fluidité, une porosité des médiums et de leurs usages.
Les nombreuses collaborations générées par «Séances», avec des danseurs, des musiciens, des graphistes, des théoriciens ou encore des écrivains, participent également d’un élargissement et d’une ouverture du projet à des formes, des pratiques et des sensibilités autres. Parmi elles, la Bibliothèque des Fragments tient une place particulière au sein du dispositif: elle regroupe un ensemble ouvert de textes inédits de plusieurs auteurs (Thomas Clerc, Jean-Yves Jouannais, Eric Mangion, Gaëlle
Obiégly, Elise Parré, Nathalie Quintane, Michele Robecchi, Paul Sztulman) invités à construire un fragment du récit à l’œuvre dans «Séances». Cette bibliothèque en construction est un concert de voix qui enrichissent l’expérience à l’œuvre et participent
à sa construction. A la fois origine et archive, cet ensemble de textes entretient l’ambiguïté d’une histoire préexistante, mais dont le sens reste à construire.
Ainsi, dans les mots et les espaces, la notion d’obscurité est omniprésente et suggère un temps passé ou un futur apocalyptique, un monde où la nuit est sans fin. À moins que, comme dans tout bon roman de science-fiction, il ne s’agisse en fait de notre présent:
«Il a existé un ciel bleu, vous devez bien avoir vu ça en photo, en film, ou en tableaux. Lesquels vous donnent le mieux la sensation du ciel clair, de ce que c’est que vivre sous le ciel éclairé? Qu’est-ce qui pour vous aura le mieux témoigné du monde ancien, du temps où nous étions dans la lumière du ciel et où, pourtant, nous n’étions pas heureux tous et toujours et simultanément. Et voilà que j’arrive à ce que je voulais vous dire. Cette catastrophe dont vous avez peut-être déjà entendu parler. Ce qui a plongé le monde dans l’obscurité. Ce qui vous oblige à garder allumées les lampes, en permanence. Nous l’avons su après, ce qui s’est passé. J’étais encore très jeune. C’est ce qui fait que je peux témoigner.»
Gaëlle Obiégly, Le monde, avant (extrait), texte présent dans «Séances» (dans la Bibliothèque des Fragments et dans le film Conte de feu de camp).